Une nouvelle Constitution si encombrante.

Référendum constitutionnel.

Retardé à maintes reprises, le référendum sur la nouvelle Constitution a eu lieu le 18 juin 2023. Son organisation déplorable et ses résultats plus que douteux ont renforcé les réticences du peuple à l’égard d’Assimi Goïta. La très faible participation a transformé le vote en plébiscite rejetant les colonels au pouvoir depuis août 2020. Cet échec embarrassant (I) a obligé le chef de l’État à se renforcer de la pire des manières (II) et à remettre à plus tard la promulgation d’un texte gênant (III).

Un échec embarrassant

Les chiffres sont éloquents : 97 % des citoyens maliens se sont prononcés pour le projet de Constitution, mais 39, 4 % d’entre eux ont participé au scrutin, notamment parce que dans 1 121 bureaux sur 24 416 le vote ne s’est pas tenu, comme le reconnaît le coordinateur régional de l’Autorité indépendante de gestion des élections (l’Aige), dans la région de Kidal ; parfois, des urnes ont été remplies par des soutiens du régime. Le référendum constitutionnel du 18 juin 2023 est un échec gigantesque. La junte le sait ; la situation l’embarrasse au point que l’Aige a mis cinq jours pour publier les résultats et que la Cour constitutionnelle ne les a toujours pas officialisés – c’est une nouvelle preuve de l’inféodation de ses membres à l’armée au pouvoir. Contesté depuis le début, le texte de la nouvelle Constitution n’a finalement pas de légitimité suffisante. La IVe République est déjà condamnée.

Pourtant, ce référendum se présentait comme historique : il devait marquer un changement constitutionnel dans le cadre d’une pratique renouvelée du pouvoir, libérée de la corruption et préparant le retour des civils à la tête du Mali. C’est peu de dire que le plan a raté : non seulement la majorité des civils n’ont pas donné leur avis, mais les manifestations contre le texte n’ont servi à rien ; les opposants les plus marquants ont eu des problèmes : l’imam Dicko a perdu l’usage de son passeport diplomatique. Mais il y a pire, car pour pallier les effets du référendum, c’est-à-dire l’impopularité du régime, donc sa fragilisation, Assimi Goïta a pris des mesures durcissant l’emprise des militaires.

Des mesures palliatives inquiétantes

 Personne n’attendait de remaniement ministériel. Il a pourtant eu lieu le 1er juillet 2023, soit neuf jours après la publication des résultats du référendum. Cette recomposition n’a aucun intérêt quant à la politique gouvernementale – le Premier ministre, Choguel Maïga, n’a d’ailleurs rien eu à dire. Elle vise seulement à détourner l’attention du peuple, à lui donner l’impression que les autorités tiennent compte de sa colère. Assimi Goïta a donc gardé certains ministres, mais leur a attribué de nouveaux portefeuilles, et, comme l’indique Jeune Afrique (dans son édition en ligne du 5 juillet), il a « placé quelques-uns de ses proches et a évincé certains soutiens du Premier ministre », les membres du M5-RFP. Parmi les siens, le chef de l’État a nommé Assa Badiallo Touré ministre de la Santé et du Développement social, qui est médecin dans l’armée, avec grade de colonel… Elle rejoint ainsi l’équipe resserrée mais forte des colonels omniprésents depuis le coup d’État de 2020 : Sadio Camara (ministre de la Défense et des Anciens Combattants) ; Abdoulaye Maïga (ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation) ; Daouda Aly Mohammedine (ministre de la Sécurité et de la Protection civile) ; Ismaël Wagué (ministre la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale, chargé de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale). Deux jours après cette manœuvre, Assimi Goïta a reçu les trois nouveaux ambassadeurs du Mali en Russie, au Gabon (siège aussi de la représentation pour le Cameroun et la Centrafrique) et au Tchad. Ces diplomates sont tous des officiers supérieurs, soit un colonel et deux généraux.

Toutes ces nominations à des postes importants donnent un aperçu glaçant du régime à venir : les Maliens le désapprouvent, mais l’armée n’en fait qu’à sa tête. Elle aurait cependant mieux fait d’octroyer les postes à des civils puisqu’elle promet leur retour à la direction de l’État! La junte a préféré un autre symbole : comme le peuple la conteste, elle se replie sur elle et pour cela se joue du droit.

La suprématie continuelle de la Charte de la Transition

 Du point de vue constitutionnel, quel texte s’applique désormais ? La Cour constitutionnelle n’ayant pas proclamé les résultats définitifs de la consultation, le chef de l’État ne peut pas promulguer la nouvelle Constitution « dans les huit jours suivant » cette annonce, comme le précise l’article 191 du texte proposé aux Maliens, et les activités de la Haute Cour de justice ne peuvent pas non plus prendre fin (article 190). La Charte de la Transition et la Constitution de la IIIe République restent donc officiellement en concurrence, même si, depuis mai 2021, la Charte est la véritable norme suprême, depuis que les juges constitutionnels ont reconnu sa supériorité. La lenteur de ces mêmes juges à retarder la proclamation s’explique facilement : il faut gagner du temps pour éviter que les dispositions de la législation encore en vigueur ne soient annulées si elles étaient contraires à la Constitution de la IVe République (article 189). De même, ce temps laissé à la junte lui permet d’agir comme bon lui semble, y compris sans se conformer aux lois, puisque, selon l’article 188, « les faits antérieurs à la promulgation de la présente Constitution couverts par des lois d’amnistie ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de poursuite, d’instruction ou de jugement ».

Finalement, c’est à se demander si la junte ne va pas tout faire pour contrer cette Constitution devenue si encombrante pour elle. Si c’était le cas, le peuple n’y verrait rien à redire. L’armée dévalorise son propre projet.

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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