Sénégal : le plus dur commence pour Diomaye Faye !

                 Qui l’aurait cru ! En prison il y a encore quelques semaines, Bassirou Diomaye Faye (BDF), prête serment ce mardi 02 avril 2024 en tant que cinquième président de la République du Sénégal. Cette ascension politique fulgurante ne laisse personne indifférent, pas plus que les commentateurs politiques que nous sommes. Pour décrypter cette élection, nous faisons le focus sur les points suivants : la vitalité de la démocratie sénégalaise ; le génie politique du PASTEF et enfin la dualité Diomaye-Sonko.  

                        La vitalité de la démocratie sénégalaise

Longtemps désigné comme le champion de la démocratie en Afrique francophone, le Sénégal a encore su se montrer à la hauteur de cette réputation. Pourtant, bon nombre de signes laissaient présager un lendemain douloureux pour cette élection présidentielle de 2024. En effet, dès la réélection du président sortant Macky Sall en 2019, la question d’un troisième mandat s’est posée dans le débat public. Le pays sera endeuillé par plusieurs manifestations à partir de mars 2021. Finalement, la question d’une troisième candidature a été balayée par le discours du 3 juillet 2023. Mais les tensions politiques restaient accrues à cause notamment de l’emprisonnement de l’opposant numéro 1 de l’époque, un certain Ousmane SONKO. Ajouter à cela, la question de parrainages qui a écarté plusieurs candidats à la présidentielle dont l’ancienne première ministre Aminata Touré dite Mimi, sans oublier bien sûr l’invalidation de la candidature de Karim WADE pour cause d’une double nationalité franco-sénégalaise. Dans ce cafouillage politique, le président sortant en a profité pour annoncer le report de l’élection présidentielle dans le discours du 3 février 2024. Sauf que dans une vraie démocratie le pouvoir arrête le pouvoir ! Et Macky Sall l’a appris à ses dépens. Dans une sage et courageuse décision rendue le 15 février, le Conseil Constitutionnel du Sénégal a retoqué le décret présidentiel qui reportait la présidentielle et demandait à Macky Sall de fixer une nouvelle date dans les “meilleurs délais”, la date initiale, le 25 février, n’étant plus possible à tenir. Le président sortant, dans une énième tentative, annonce un dialogue politique afin de fixer la date de la présidentielle. Ce dialogue accouche de la date du 2 juin comme celle de l’élection. C’était sans compter sur la détermination des juges du Conseil Constitutionnel. Dans l’arrêt du 6 mars, qui fera certainement jurisprudence au-delà des frontières du Sénégal, le Conseil Constitutionnel, constatant l’immobilisme de l’exécutif, fixe la présidentielle au 24 mars et précise que le mandat du président sortant se termine le 02 avril. Le droit étant dit, place aux élections !

                                    Le génie politique du PASTEF

Les Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité (PASTEF) en tant que parti a été dissous le 31 juillet 2023. Au même moment, son leader charismatique, Ousmane Sonko, était emprisonné. Face à une telle situation, bon nombre de partis politiques auraient opté pour le boycotte des élections. Mais en bon stratèges, les dirigeants du PASTEF ont su se maintenir dans le jeu politique à travers la candidature de Bassirou Diomaye Faye. Cela démontre que le parti est structuré autour des idées, d’un projet et non autour de la personne d’Ousmane Sonko. Beaucoup de partis politiques dans nos pays devraient s’inspirer de cet exemple. Combien de partis n’ont pas survécu ou peinent à exister en l’absence des présidents fondateurs? Ils en sont nombreux! La politique, la vraie, est l’engagement des hommes et des femmes dans la recherche d’idées pouvant contribuer au bien être des populations. Un bon dirigeant politique est celui qui sait “créer” d’autres leaders. Ousmane Sonko ayant créé un autre leader du nom de Diomaye Faye, il y a désormais à la tête du Sénégal un duo.

                                    La dualité Diomaye-Sonko

“Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye” en wolof signifie “Diomaye c’est Sonko, Sonko c’est Diomaye”. Dès leur sortie de prison à dix jours de la présidentielle, les deux leaders ont fait campagne avec ce slogan. Il faut dire que cela a bien marché comme pouvaient en témoigner les foules qui accompagnaient les caravanes de campagnes.  La victoire dès le premier tour de la présidentielle venait confirmer cet élan de popularité. Si BDF a remporté l’élection, c’est surtout grâce à l’aura d’Ousmane Sonko. Et c’est ce qui rend les choses un peu plus compliquées. En effet, il est de notoriété publique que le pouvoir ne se partage pas! Désormais au sommet de l’Etat, on peut légitimement se demander qui est le “véritable chef” entre Sonko et Diomaye. Bien entendu, le second est celui qui a été élu, mais on pourrait tout à fait parler d’une élection par procuration. Le plus dur commence donc pour Diomaye Faye. Quelle place aura Sonko ? Il faut dire que plusieurs hypothèses sont sur la table. Nous allons commencer par les plus “risquées” et terminer par la plus “viable”. Ousmane Sonko pourrait devenir le prochain premier ministre du Sénégal. Ce serait d’ailleurs plus cohérent puisque le chef du gouvernement est celui qui est chargé d’appliquer le programme du président. Qui connait le programme du PASTEF mieux que Sonko? Cependant, face à la complexité de l’exercice du pouvoir, une telle nomination pourrait détériorer les relations entre les deux hommes. Sonko pourrait être calif à la place du calif. L’autre hypothèse “risquée” est que Diomaye Faye modifie la constitution et crée le poste de vice-président qu’il attribuera à Sonko. Là encore, la réalité de l’exercice du pouvoir risque de mettre en mal les relations entre les deux camarades du fait de la forte personnalité de Sonko. Il faut dire que le Sénégal a connu une situation presque similaire entre Senghor et Mamadou Dia. Toutefois, il existe une hypothèse qui nous semble plus “viable”. N’ayant pas la majorité à l’Assemblée Nationale, Diomaye Faye pourrait dissoudre cette assemblée à partir de septembre (il faut au moins deux ans d’existence pour que l’AN soit dissoute) et organiser des élections anticipées. Dans la foulée de l’effervescence liée à son élection, le PASTEF peut avoir la majorité à l’Assemblée Nationale et Sonko pourrait occuper le perchoir. En étant à la tête des deux institutions différentes, Diomaye à la présidence et Sonko président de l’assemblée, le duo pourrait déjouer ce qu’on peut finalement appeler le “piège politique”.

Bréhima Sidibé
Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université

      

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