Un Premier ministre en campagne ?

Soutien de la junte aux premières heures du coup d’État, Choguel Maïga en aura été le porte-parole avec ses mots agressifs contre la France. Longtemps exposé à la tribune de l’ONU, dans les médias, toujours dans sa traditionnelle tenue de civil, il aura aussi légitimé le régime des colonels un peu trop kaki, fédérant les uns et les autres, les déçus et les opposants de feu IBK. Remplacé un temps par un Premier ministre intérimaire, il est toutefois reconduit dans ses fonctions le 1er juillet 2023 ; mais, dix-sept jours plus tard, il déclare, à Mopti : « Tous ceux qui nous soutiennent aujourd’hui, s’ils n’ont pas à manger demain, sont les mêmes qui vont prendre des cailloux pour nous renvoyer. Les discours patriotiques et nationalistes peuvent tenir un an, deux, trois ans. […] Sur la durée, c’est l’économie qui tient. »

Ces propos cinglants à l’égard de la junte sont ceux d’un homme qui n’a plus rien à espérer du régime : lors du remaniement, Choguel Maïga a conservé son poste, certes, mais il a surtout perdu son influence, les membres de son gouvernement étant uniquement composés de partisans de l’armée. Isolé, il réagit avec une sorte de fatalité, conscient d’être mis à l’écart, de subir un affaiblissement politique important. Ses critiques annoncent une rupture probable avec les colonels, sauf si ces derniers lui redonnent l’estime de naguère. Parce que les Premiers ministres ont une vie politique de courte durée dans les Transitions – Moctar Ouane est resté huit mois chef du gouvernement, et, en Guinée, Mohamed Béovagui a passé dix mois à la Primature  –, Choguel Maïga cherche ainsi à se relancer politiquement.

Sa déclaration vise à menacer la junte d’une dissidence dangereuse pour elle alors que l’élection présidentielle est prévue en février 2024. Fort d’un slogan, l’économie d’abord, Choguel Maïga dénonce la petitesse d’un programme réduit au patriotisme et au nationalisme, idées qui prospèrent en Afrique noire francophone en même temps que la « démocratie sécuritaire », celle qui subordonne la démocratie à l’exigence de sécurité, donc le pouvoir des civils, même désignés par les urnes, à celui des militaires. Le ton comminatoire du Premier ministre a toutefois ses limites : ancien ministre du contesté IBK, comptable de trois années de gouvernance, critiqué par le M5-RFP, dont il fut l’un des dirigeants, Choguel Maïga ne peut espérer mieux que jouer le rôle de troisième homme s’il a l’envie de se présenter à la présidence de la République, et faire de l’ombre au candidat du régime en lui retirant quelques voix.

En se repliant sur eux-mêmes, les colonels ont amoindri les forces d’un allié les gênant à durcir la militarisation de la Transition, mais ils ont accru celles de l’homme politique, le transformant en opposant sérieux, car il les pousse à proposer un programme politique véritable, plus consistant que la souveraineté recouvrée, une ambition qui, étant donné son échec, n’est qu’une formule publicitaire : la très mauvaise organisation du référendum dans le nord du pays, notamment, aura révélé l’échec des mesures entreprises pour l’atteindre ; l’essentiel du Mali est en effet aux mains des islamistes et la Russie et Wagner sont à l’origine de bien des décisions prises à Bamako !

 

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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