Présidentielle de 2024 au Sénégal : une équation à deux inconnues.

Sénégal

 

A moins d’un an de l’élection présidentielle au Sénégal, prévue pour février 2024, la classe politique est en effervescence. Majorité et opposition se regardent en chien de faillance. Au cœur de ces tensions se trouve une éventuelle candidature du président sortant Macky Sall pour un troisième mandat et les ennuis judiciaires du bouillant opposant Ousmane Sonko. Nous sommes donc face à une équation à deux inconnues.

Le président Macky Sall va-t-il franchir le Rubicon en briguant un troisième mandat ? Quelles seraient les conséquences d’une telle décision ? Quant à Ousmane Sonko, sera-t-il éligible en cas de condamnation dans l’affaire de « viol » ? Une solution intermédiaire peut-elle être trouvée ? Cet article se propose de répondre à ces interrogations. Bien entendu, il ne s’agira pas des réponses fermes mais plutôt des hypothèses basées sur notre observation de la scène politique sénégalaise.


La bataille juridico-politique

Dès le lendemain de sa réélection en février 2019, la question d’un troisième mandat du président Sall est revenue dans le débat public. Si cette question demeure récurrente sur la scène politique au pays de la Terranga, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une première fois. En effet, le président Wade avait, malgré une forte opposition, brigué un troisième mandat avant d’être battu par un certain Macky Sall. On se rappelle d’ailleurs la fameuse phrase de Wade « Ma wakhone waxète » autrement « j’ai dit et je me dis » en parlant de sa promesse de ne pas solliciter un nouveau mandat.


Macky Sall fera-t-il la même chose ?

L’intéressé lui-même s’est toujours refusé de répondre à cette question depuis 2019. Son argumentaire est le suivant : s’il dit qu’il n’est pas candidat, son propre camp, et donc le gouvernement, ne va plus s’occuper du bien être des populations mais plutôt par des querelles partisanes en vue de mieux se positionner pour le scrutin présidentiel. Si l’on pouvait aisément comprendre cet argument à 5 ans de l’élection, aujourd’hui, à moins d’un an, il faut dire que ce flou ne doit plus demeurer car il maintient le pays dans une tension permanente.


Comment en est-on arrivé là ?

Le référendum de 2016 qui a réduit le mandat de sept à cinq ans est l’élément déclencheur de ce débat sur le troisième mandat. Pour les uns, cette modification de la constitution permet au président Sall de briguer un nouveau mandat, le compteur étant remis à zéro. En revanche, pour les autres, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un bricolage juridique. N’ayant pas de compétences juridiques pour trancher cette question, nous nous focalisons uniquement sur l’aspect politique. En effet, une chose peut être légale mais pas légitime. Si Macky Sall venait à briguer un troisième mandat, cela créerait plus de problèmes de notre point de vue. Le Sénégal est toujours réputé pour sa stabilité démocratique et politique. Qui plus est, dans une sous-région ouest africaine où la démocratie recule, une telle décision aura des lourdes conséquences. Il serait donc plus sage pour le président Sall de sortir par la grande porte surtout lorsqu’on sait qu’il a un bilan satisfaisant. Il est temps, en Afrique, de sortir du mythe de l’homme providentiel. En effet, il n’est pas rare d’entendre dans le débat public « laissons le président terminer ce qu’il a commencé » ; « il a bien travaillé, laissons-le continuer. » Si en général il s’agit des déclarations naïves, cela pose une vraie question de leadership de nos dirigeants. Lorsqu’on fait plus de dix ans au pouvoir et qu’on n’arrive pas à former des jeunes autour de soi, il y a de quoi douter de la bonne foi des dirigeants. Un succès sans successeur est un échec dit-on.


La stratégie du « moi ou le chaos » 

Ousmane Sonko, farouche opposant à Macky Sall, a une stratégie bien définie. Elle peut se résumer en une phrase : « moi ou le chaos. » En effet, depuis le début de ses ennuis judicaires dans une affaire qui l’oppose à une employée d’un salon de massage qui l’accuse de viol à répétition, Sonko ne cesse d’affirmer qu’il s’agit d’un complot politique faisant à l’écarter de la présidentielle. Là, nous n’allons pas entrer dans le débat juridique qui consiste à dire s’il est coupable ou pas. C’est à la justice et à elle seule de déterminer cela.

Notre démarche consiste à analyser la stratégie utilisée par Sonko. Conscient qu’étant dans un rôle de victime il peut bénéficier de la sympathie d’une bonne partie de la population, il n’hésite pas à appeler ses partisans à manifester à chaque fois qu’il est convoqué au tribunal. Les partisans de la majorité présidentielle l’accusent ainsi de faire entrave à la justice. Reste que cette stratégie semble bien fonctionner. On se rappelle les violentes émeutes qui ont embrasées le pays en mars 2021. Là encore, nous pouvons faire une observation globale sur ce phénomène bien présent dans nos pays. Plus souvent, on pense qu’être opposant signifie que toute action en justice est un complot.  Il faudrait bien prendre garde de ce raccourci. Les opposants, comme tous les citoyens, demeurent des justiciables surtout qu’en l’espèce il s’agit d’une affaire privée. Ousmane Sonko gagnerait à faire face à la justice pour laver son honneur. Nul doute de sa popularité. Il a toutes ses chances de gagner la prochaine élection.


La solution intermédiaire

Dans ce climat délétère, rien n’est perdu pour l’instant. Le président Macky Sall a encore du temps pour préparer un dauphin en vue de l’élection présidentielle de 2024. Au sein de sa large coalition de « Benno bokk yaakaar », il y a certainement des hommes et des femmes capables de reprendre le flambeau. On pense notamment au premier ministre Amadou BA.

Pour ce qui est de Ousmane Sonko, la solution peut venir de la justice. En cas de condamnation avec sursis ou même d’un acquittement, lui permettant ainsi d’être éligible, la tension peut baisser d’un cran. Bien entendu, cela ne doit pas être au détriment du droit. Mais toujours est-il qu’une telle éventualité résoudra l’équation à deux inconnues.

 

Bréhima Sidibé
Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université

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