Les vœux (pieux) de la junte pour 2024.

C’est sans cotillons ni champagne, avec sa placidité habituelle, que le président de la Transition a présenté ses vœux à la Nation pour l’année 2024. De son ton monocorde, le regard fixé sur un prompteur, le colonel Goïta a énuméré les succès des mesures prises en 2023 et a fixé la politique pour les douze prochains mois. Comme toujours, il a fallu essayer de comprendre le double sens et les silences d’un chef d’État taiseux et prudent, mais l’effort en vaut la peine : les Maliens ont appris que la Transition était reconduite (I) et que l’État s’employait à poursuivre la recomposition de la politique nationale et internationale (II) au rythme d’emprisonnements d’opposants et de tensions diplomatiques.

  1. La Transition avec tacite reconduction

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Le 23 août 2020, Assimi Goïta déclarait vouloir « faire une transition de trois ans pour revoir les fondements de l’État malien ». Cependant, le 6 juin 2022, un décret prolongeait la Transition de vingt-quatre mois à compter du 26 mars précédent et un nouveau « chronogramme » indiquait la tenue de l’élection présidentielle le 4 février 2024. La promulgation de la Constitution de la IVe République, le 23 juillet 2023, rendait vraisemblable le retour aux urnes à cette date, mais, le 8 août suivant, à l’issue d’une réunion entre le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et 291 partis politiques, un allongement de la période de Transition était envisagé ; il était officialisé le 25 septembre, pour « des raisons techniques » (comme le délai de l’entre-deux-tours modifié par la nouvelle Constitution et la révision des listes électorales). Depuis, le régime d’exception continue, persiste, demeure et s’éternise.

Dans ses vœux pour la nouvelle année, le colonel Goïta n’a rien dit de clair au sujet de l’élection présidentielle : « Au cours de l’année 2024, les efforts tendant à retourner à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé ne faibliront point. » Il va donc falloir attendre, encore et encore. Puisque la sécurité conditionne l’organisation du scrutin présidentiel et, semble-t-il, des élections législatives et sénatoriales, il est nécessaire de cultiver la patience, désormais valeur suprême pour tout Malien, pour savoir quand l’accès aux urnes redeviendra possible, tout en se satisfaisant de conjectures quant à la date de la présidentielle. Ainsi, le « dialogue direct inter-Maliens pour la paix et la réconciliation » ne rendra ses conclusions qu’en février, comme l’a dit le chef de la junte… si le délai est respecté. En tout cas, les autorités en tiendront évidemment compte pour choisir la date de l’élection présidentielle. Or, le Ramadan commençant le 10 mars et s’achevant le 9 avril, il y a fort à parier que les bureaux de vote resteront fermés jusqu’en mai. Mais si les putschistes veulent se présenter à la présidentielle, rappelons que l’article 155 de la loi électorale du 24 juin 2022 leur impose de démissionner de l’armée ou de demander leur mise à la retraite au moins quatre mois avant la date de l’élection. On voit ainsi que le terme de la Transition n’est pas pour demain et que, pour la faire durer, le meilleur moyen est de ne pas parler de sa fin. La Transition avec tacite reconduction : voilà quelle innovation est à mettre au compteur des colonels au pouvoir. Il en en autant de la politique intérieure et de la politique régionale qui devraient, en cette année commençant, marquer de notables changements.

  1. Une recomposition politique et régionale en gestation

Dans son discours, le colonel Goïta affirme : « L’unité nationale et le vivre-ensemble constituant le socle sur lequel nous devrions bâtir toutes les actions pérennes de développement. Nous sommes à une étape charnière de l’avancée de notre pays vers la paix, la sécurité et le développement. » De si belles intentions ne sauraient faire oublier les manœuvres visant à réduire les opposants politiques, tel l’imam Dicko. La figure du prou du M5-RFP contre le président Ibrahim Boubacar Keïta avait dénoncé, le 26 mai 2022, « l’arrogance » de la junte et, le 22 juin 2023, s’était vu retirer un temps son passeport. Aujourd’hui tacitement accusé de trahison par le régime pour avoir rencontré le Président algérien au sujet des tensions persistant dans le nord du Mali, il n’ose rentrer à Bamako, craignant d’être incarcéré. D’ailleurs, le communiqué du gouvernement du 24 janvier 2024 ne fait que contredire ces engagements pacifiques : par la voix du colonel Maïga, la junte condamne l’Algérie pour ses « actes inamicaux », pour son « hostilité », pour son « ingérence dans les affaires du Mali », lui reprochant notamment d’accueillir ceux qu’elle désigne comme des terroristes parmi les signataires de l’Accord d’Alger ; enfin, l’allocution du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, avec le même ton martial, reproche à la médiation internationale son « incapacité » au sujet du conflit contre l’Azawad… On ne peut pas dire que l’année 2024 débute sereinement, ni que « l’unité nationale » ou « le vivre-ensemble » soient à portée de main….

Seul Moussa Mara accueille avec ferveur les vœux du chef de l’État, au point qu’il en appelle, depuis le 6 janvier, à « sauver la Transition », pensant ainsi sauver le pays. Il a sans doute été séduit par la volonté du Président de lutter « contre les groupes armés terroristes […] jusqu’à la pacification totale du pays ». Si c’est le cas, qu’il explique comment atteindre ce but alors que le Mali s’est retiré du G5 Sahel en 2022 et que le Burkina Faso et le Niger l’ont imité en décembre 2023. L’Alliance des États du Sahel (AES) associant ces trois pays sujets aux coups d’État est-elle si crédible ? Chacun est en droit de douter fortement de la capacité de leurs armées respectives à défendre le membre attaqué par les islamistes, par exemple, comme en dispose un des articles de la charte signée le 16 septembre 2023, à plus forte raison si deux pays étaient attaqués en même temps. La confédération voulue par Bamako, Ouagadougou et Niamey est un vœu pieux. Une monnaie unique, qui circulerait depuis peu, d’après le site de TV5 Monde (dans un article du 21 janvier 2024), ne fait que renforcer l’idée d’une concorde de façade, destinée exclusivement à affaiblir la Cédéao, dont les trois régimes dictatoriaux n’ont jamais supporté les exigences quant au retour de la démocratie. D’ailleurs, Assimi Goïta n’a pas parlé de cette association dans son discours, au contraire de son homologue burkinabè, dont la politique visant à « briser les premières chaînes de l’esclavage, de l’impérialisme, du néocolonialisme » doit être poursuivie, parce que le combat mené « est noble pour le Burkina Faso, pour l’AES […] et pour l’Afrique tout entière ».

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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