Les débuts désastreux de la IVe République.

Depuis le 22 juillet 2023, la Constitution de la IVe République est effective. Promulguée par le chef de l’État, Assimi Goïta, la nouvelle norme fondamentale marque une étape importante dans l’histoire de la Transition, qui a commencé avec le coup d’État d’août 2020. Sa publication au Journal officiel aurait dû clarifier une situation juridique complexe qui durait depuis trois ans à cause de l’application simultanée de la Constitution de 1992 et de la Charte de la Transition. Nul juriste ne savait vraiment à quel texte se référer ; les arrangements de la junte avec tel ou tel article pris dans l’un ou l’autre de ces deux documents décidaient de leur suprématie alternative. On pouvait donc réprouver le contenu du projet constitutionnel, approuvée à la suite d’un référendum douteux, mais on ne pouvait que se réjouir d’une netteté enfin recouvrée en matière de droit constitutionnel. Hélas ! l’abstraction et le flou règnent un peu plus !

C’est à n’y rien comprendre : comme nous le faisions remarquer dans une précédente chronique, d’après l’article 186, « le fondement de tout pouvoir, en République du Mali, réside dans la Constitution » ; or, selon l’article 189, « la législation en vigueur demeure valable dans la mesure où elle n’est pas contraire à la présente Constitution et où elle n’est pas l’objet d’une abrogation expresse », disposition que précise l’article 190 : « Jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions, les institutions établies continuent d’exercer leurs fonctions et attributions »… En d’autres, termes, la Charte de Transition, qui régit le Mali depuis 2020, continue de s’appliquer, parce que le chef de l’État ne l’a pas annulée, et parce que les nouvelles institutions, comme un président de la République élu, n’ont pas encore pris leurs fonctions. Rappelons en effet que, conformément à l’article 22 de la Charte de la Transition modifiée le 25 février 2022, « la Transition prend fin avec l’élection présidentielle organisée par les autorités de la Transition ». Il apparaît donc que l’État malien se trouve placé sous la gouvernance à la fois de la Constitution de la IVe République, de la Charte, donc, aussi, de la Constitution de la IIIe République, puisque l’une et l’autre se complètent officiellement. Coexistent finalement un régime de Transition et une nouvelle République… Absurde, inepte, illogique, confus, aberrant, incohérent… Quel adjectif peut préciser l’ordre constitutionnel prétendu ? La junte se charge de détourner l’attention du curieux. Ainsi, le lendemain de la promulgation de la Constitution, Assimi Goïta s’est-il rendu à Kayes. Présenté par Mali-Online TV comme la « première visite officielle du chef de l’État sous la IVe République », ce déplacement vise à donner une image positive du Président et de sa clique. Accueilli dans le stade de la ville dans une ferveur dérangeante par son manque de naturel, le chef des colonels rebelles passe pour un dirigeant bâtisseur. Dans une période délicate pour elle, la junte a su trouver les fonds pour la construction d’un lycée, pour améliorer l’équipement médical de l’hôpital local… et peut s’appuyer sur le commentaire dithyrambique d’un journaliste obséquieux pour qui « cette visite mémorable et historique traduit ainsi l’engagement renouvelé du chef de l’État à la souveraineté du Mali, mais aussi au bien-être des populations maliennes où qu’elles se trouvent ». Les habitants du nord du Mali qui n’ont pas pu voter au dernier scrutin apprécieront.

La junte a beau regarder ailleurs, le problème constitutionnel demeure : dans ce système, les institutions sont paralysées. Prenons par exemple la vacance de la présidence de la République – situation importante, qui s’est déjà présentée en 2020. La nouvelle Constitution prévoit que dans cette circonstance « les fonctions du président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée nationale. En cas d’empêchement, de désistement ou de décès de celui-ci, elles sont exercées par le Président du Sénat ». Mais, pour le moment, les sénateurs n’ont pas été élus ; il n’existe donc pas de président du Sénat. Par conséquent, si ni Assimi Goïta, ni le président du CNT (organe législatif assimilé à l’Assemblée nationale), Malick Diaw, ne pouvaient occuper le fauteuil présidentiel, ce dernier resterait inoccupé. Par ailleurs, le président de la Transition étant, de fait, président de la République, a-t-il le droit de rester en poste sans avoir à démissionner de l’armée ou à demander sa mise à la retraite de cette institution, puisque l’article 155 de la loi électorale du 24 juin 2022 empêche un membre des forces armées de se présenter à l’élection présidentielle, donc d’être chef de l’État ?

Répondre à cette question n’est plus urgent, la Transition devant durer plus que prévu, comme l’indique l’hebdomadaire Journal du Mali : le 8 août 2023, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Abdoulaye Maïga, a rencontré deux cent quatre-vingt-onze partis politiques, et la réunion a donné lieu à diverses propositions, parfois contradictoires, mais domine l’idée de prolonger la Transition de trois à dix-huit mois (selon des critères inconnus). Cette décision permettrait de « bien organiser les élections à venir », selon certains participants. Le ministre d’État essaie de rassurer les Maliens inquiets : « Il n’y a aucune volonté de prendre en otage la Transition, de perdurer au pouvoir, comme certains aiment bien le dire. Je pense que l’indicateur de bonne volonté est le référendum constitutionnel. » Le ministre de la Refondation de l’État, Ibrahim Ikassa Maïga, renchérit : il ne faut pas « se précipiter », il faut éviter de « retomber exactement dans la même situation et créer les conditions d’une autre Transition alors que l’occasion rêvée est donnée de bien faire les choses ». Évidemment ! Mais trois ans après avoir pris les commandes du Mali par la force, se justifier de les conserver, alors que du retard a été pris en 2022, c’est justifier l’injustifiable. Ou alors, il aurait fallu tenir compte des mauvais résultats du référendum sur la Constitution et ne jamais promulguer un texte qui ne convient qu’à une minorité.

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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