Le scrutin de mars 2023 : Référendum sur la nouvelle Constitution ou plébiscite contre la junte ?

 

Une réunion a eu lieu le 12 janvier 2023 entre le nouveau ministre d’État et les quelques partis politiques ayant accepté son invitation au sujet de l’organisation du référendum sur la nouvelle Constitution. Au même moment, la junte commémorait la « journée de la souveraineté retrouvée », le 14 janvier, pour unir autour d’elle la population, en majorité opposée au texte constitutionnel, et pallier les effets d’une victoire probable du « non » à l’issue du scrutin de mars prochain. Le stratagème s’annonce cependant vain pour trois raisons au moins : d’abord, parce que l’armée, qui s’est plusieurs fois engagée à laisser s’exprimer les Maliens dans les urnes, ne peut plus ni annuler, ni reporter le vote, dangereux pour elle (I) ; ensuite, parce que le projet de Constitution est illégal et illégitime (II) ; enfin, parce que le référendum risque fort de se transformer en plébiscite étant donné le mauvais bilan des putschistes (III).

 

Un scrutin décisif

Depuis 2020, la junte a empêché les citoyens de donner leur avis dans les urnes, préférant choisir tantôt leurs représentants au Conseil national de la Transition (CNT) – l’organe législatif du régime – ou aux Assises nationales de la refondation (ANR) ; tantôt les membres de l’Assemblée constituante. Toute manœuvre désormais inacceptable, à plus forte raison avec l’instauration de la « journée de la souveraineté retrouvée » : si les putschistes n’organisaient pas le référendum sur la Constitution, ils renieraient le principe même de cette fête, la souveraineté, qui, en droit constitutionnel, repose sur le peuple, et altéreraient la crédibilité de leur politique et du texte qu’ils soumettent aux citoyens ; aussi imparfait soit-il, ce dernier dispose en effet, en son article 30, que le « Mali est une République […] démocratique ». Si l’organisation de ce référendum est un devoir pour la junte, nous pensons qu’il est aussi un devoir pour les opposants au texte de voter ; ainsi seulement l’armée sera-t-elle obligée de tenir compte de leur avis. Les Maliens ont pour eux la force du nombre : Radio France internationale (RFI) rapporte que deux cent trente et un partis politiques sur deux cent quatre-vingt-un ont refusé de participer à la réunion du 12 janvier : que ces refus se manifestent dans les urnes et les putschistes auront bientôt à ranger leur « barda », direction Kati. Malheureusement, cela contraint les Maliens à se rendre complices de cette hypocrite consultation, de surcroît illégale et illégitime.

 

Un référendum illégal et illégitime

Les circonstances de la tenue du référendum, d’abord, portent un coup sévère à sa légitimité : depuis plus de deux ans, le Mali n’en finit plus d’imploser, l’insécurité ne cesse de grandir, débattre sereinement est difficile, la liberté d’expression étant très fragile. En avril 2021, le ministre de la Réconciliation nationale, Ismaël Wagué, reconnaissait lui-même l’absence de l’État dans certaines régions, comme à Farabougou, où les islamistes ont pris place ; et, en janvier 2023, cité sur le site internet de RFI, Youssouf Diawara, président du parti Filma déclarait : « Aujourd’hui, une partie du territoire est occupée et l’ensemble des citoyens n’a pas la capacité de s’exprimer ». Organiser un référendum en excluant une partie des votants est donc une faute à la fois juridique, morale, et politique. Rappelons aussi que le projet ayant été élaboré en dehors des cadres réglementaires, c’est-à-dire sans l’élection d’une Assemblée constituante notamment, le référendum contribue à parodier la démocratie. L’armée au pouvoir s’en sert comme d’un instrument pour pérenniser et durcir le régime, opération qui a commencé le 24 juin 2022, lors de la publication de la loi électorale, dont l’article 155 autorise « les membres des Forces Armées ou de Sécurité qui désirent être candidats aux fonctions de président de la République, doivent démissionner ou demander leur mise à la retraite au moins quatre mois avant la date de l’élection présidentielle marquant la fin de la Transition ». Par conséquent, la junte risque de se voir remise en cause par des citoyens qui pourraient à leur tour employer les urnes pour signifier plus que le rejet d’une Constitution.

 

Du référendum au plébiscite

On assiste à un remodelage de la politique malienne. Les partis naguère favorables au coup d’État militaire se désolidarisent de plus en plus de l’armée : le Mouvement du 5-Juin des Forces patriotiques (M5-RFP) a changé de direction à la suite de divergences engendrées par la politique de son ancien chef et Premier ministre depuis 2021, Choguel Maïga. L’organisation du référendum n’a, elle, réuni que cinquante partis, et encore ! certains s’opposent à la consultation. De même, alors que le Haut conseil islamique soutenait les colonels aux premières heures du putsch, le cheikh Chérif Ousmane Madani Haïdara souhaitait que les imams donnent « des conseils » et disent « la vérité aux autorités si elles [étaient] sur le mauvais chemin »… Une foule d’opposants semble donc se former contre le pouvoir et va sans doute profiter du référendum pour rejeter toute la politique de l’armée. Les bulletins « oui » et « non » serviront donc plus à répondre à la question du maintien de la junte à la tête du Mali, et à celle de la continuité de cette politique de la souveraineté retrouvée qui n’est qu’un fantasme ou un moyen faible et bas pour stimuler le soutien des Maliens à une bande de colonels en mal d’appuis.

Le référendum pourrait ne pas se dérouler conformément aux règles de droit puisque c’est la junte elle-même qui l’organise, elle qui a tout à perdre en cas de victoire du « non ». La présence d’observateurs internationaux assurerait la fiabilité du résultat, mais la politique de la souveraineté retrouvée incitera certainement les autorités à refuser toute présence étrangère, le soupçon gouvernant les relations diplomatiques du Mali.

 

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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