Le renforcement des liens entre dictatures militaires africaines.

 

Un président de la République élu suivant des modalités régulières d’élection se retrouve séquestré avec une partie de sa famille. Loin de révolter les régimes militaires du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso, parangons de vertu et militants affichés contre la corruption, cette situation est activement soutenue. La « démocratie sécuritaire » chasse la démocratie électorale. Les gouvernants issus de coups d’État récents se durcissent (I), se soutiennent (II), grâce à la mollesse des organisations internationales (III).

 Le durcissement idéologique des régimes militaires

L’adhésion populaire à un régime fort se répand. Certains sont prêts à abandonner les libertés au profit de la dictature : le dédain pour la démocratie, électorale notamment, s’explique par la domination de traits culturels forts en Afrique, tels la tradition, le culte du chef, la religion, et par la faillite prétendue de ce système politique, au départ propre à l’Occident, considéré comme responsable de tous les maux depuis les indépendances, car les Constitutions, qui l’établissent, et les hommes chargés de les faire appliquer auraient tous échoué à instaurer la paix et la prospérité. Par une facilité de raisonnement, c’est donc l’ancienne puissance coloniale qui importa la démocratie, la France, qui est cause de tous les problèmes, l’insécurité en particulier. Pour l’armée, l’urgence sécuritaire primant sur la légalité, elle seule a la légitimité du pouvoir : c’est le succès de la « démocratie sécuritaire » au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, et depuis peu au Niger. Elle s’accompagne nécessairement de la politique du bouc émissaire, opposant naïvement le Bien du Mal : en se débarrassant de la France, qui chercherait à perpétuer son emprise, et des dirigeants élus, perçus comme ses complices, les États d’Afrique aux ordres de l’armée pensent ainsi recouvrer leur souveraineté, c’est-à-dire leur indépendance à agir et à régler leurs si grandes difficultés. Les nouveaux hommes forts en uniforme sont persuadés de réussir là où leurs prédécesseurs, les organisations régionales (la Cédéao et l’Union africaine) et internationales (l’ONU et l’Union européenne) ont partiellement manqué leur but. Séduits par la promesse de rester au pouvoir grâce au soutien du groupe Wagner, les officiers acceptent des compromissions, appuient les manifestations conduites en sous-main par la Russie contre la France. Les relations diplomatiques entre Paris et Bamako sont catastrophiques : l’ambassadeur de France est expulsé du Mali le 31 janvier 2022 ; le 17 février suivant, les soldats français commencent à se retirer du territoire et ferment leur dernière base six mois plus tard. Des provocations persistent ; le 10 août 2023, les deux pays suspendent la délivrance de visas. L’ambassade de France au Burkina Faso est elle aussi attaquée à coups de pierres en octobre et en novembre 2022. Au Niger, une manifestation semblable a lieu le 30 juillet 2023 et une autre se déroule le 11 août près d’une base de l’armée française. Les régimes militaires se maintiennent donc par l’efficacité de leur stratégie de diabolisation, mais aussi par le soutien qu’ils s’apportent, l’union faisant la force.

Le soutien réciproque des juntes

Le coup d’État au Niger contre le Président Mohamed Bazoum aura permis aux juntes du Sahel et de Guinée de se rapprocher davantage. Le 7 août 2023, soit onze jours après l’arrestation du président de la République, une délégation commune au Mali et au Burkina Faso se rend à Niamey pour soutenir les nouveaux chefs du pays. Le site Africa Intelligence indique même que des officiers nigériens ont rencontré le ministre malien de la Défense et des Anciens Combattants, Sadio Camara, quelques jours avant leur putsch. Le 12 août, le Président Mamadi Doumbouya les reçoit à Conakry. RFI rapporte la bonne entente entre les participants : à l’issue de l’entrevue, le général nigérien Moussa Salao Barmou fait remarquer  « la solidarité de la Guinée vis-à-vis du Niger ». Entre les autres juntes aussi les relations sont au beau fixe : en septembre 2022, Assimi Goïta a invité son homologue guinéen pour la fête nationale ; et, de façon moins anecdotique, rappelons la proposition, le 3 février 2023, du Premier ministre burkinabè d’unir dans une fédération son pays et le Mali. Ces régimes militaires n’ont pas d’autre choix que de s’aider. La pression qu’ils exercent contre les organisations internationales n’en est que plus forte, les stabilise et leur permet de durer. Elle ne les prémunit pas de leurs propres contradictions et de leur hypocrisie. Les juntes ont beau se présenter au monde avec tous les atours de la vertu, elles n’en sont pas moins corrompues, plus encore même que les Présidents qu’elles ont destitués, et sont prêtes à transgresser les principes motivant leur sédition. En 2022, au Burkina Faso, on aura ainsi vu un militaire en chasser un autre du palais de Kosyam, alors que les deux officiers, Paul-Henri Damiba, éphémère chef de l’État (entre janvier et septembre) et Ibrahim Traoré, son successeur, œuvraient au sein du même Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration quelques moins plus tôt. Le second justifiait alors sa rébellion au nom de l’argument sécuritaire, déjà utilisé lors du coup contre le Président Roch-Marc Christian Kaboré. La politique de l’armée au pouvoir se limitant à la lutte contre l’insécurité, elle risque de mécontenter le peuple et les opposants les plus courageux. Au Mali, par exemple, Choguel Maïga a rappelé la nécessité de s’occuper de l’économie, mais il faut aussi traiter le problème migratoire… La conduite d’un pays ne se fait pas seulement les armes à la main ! Quoi qu’il en soit, on peut malheureusement estimer que ces dictatures ont de beaux jours devant elles : les différentes organisations qui pourraient les réduire sont d’une piètre efficacité.

La faiblesse des organisations internationales à l’égard des régimes militaires

Comme l’écrit le chercheur Jean-Pierre Olivier de Sardan dans Jeune Afrique, le 29 juillet 2023, « les multiples injonctions démocratiques occidentales […] ont abouti à l’effet inverse de ce qu’elles recherchaient […] : elles ont discrédité encore un peu plus le système démocratique ». Les demandes insistantes de la Cédéao ont eu le même effet et sa faiblesse a crû. Faiblesse qui s’explique aussi par l’hypocrisie de certains des États membres de l’organisation qui exigent la démocratie chez leurs voisins, mais la rejettent chez eux, et par la réaction différente à l’égard des quatre coups d’État les plus récents en Afrique : après la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, au Mali ; après la destitution d’Alpha Condé, en Guinée ; après l’éviction de Roch-Marc Christian Kaboré, au Burkina Faso, la Cédéao n’a pas menacé les putschistes d’une intervention militaire pour rétablir les Présidents écartés, comme elle a cherché à intimider leurs semblables nigériens. Manquant de fermeté, d’autorité, incapable de faire appliquer ses exigences, la Cédéao s’est plus d’une fois fait ridiculiser par tel ou tel « Comité national » rebelle. Récemment encore, en juin 2022, la junte malienne la prenait de court, n’attendant pas la fin des discussions avec elle au sujet du respect de son « chronogramme » pour déclarer que la Transition durerait plus que prévu. Les sanctions qu’elle prend sont faibles : « sanctions progressives » contre les rebelles guinéens ; sanctions tout juste symboliques : à chaque fois les États récalcitrants sont suspendus. En général, les actions de la Cédéao se limitent à hausser la voix et à donner des coups de menton. En effet, les désaccords entre les organisations internationales aussi contribuent indirectement au durcissement des régimes militaires. Africa Intelligence, encore, rapporte les démarches secrètes du Président togolais quant à la libération de Mohamed Bazoum, au grand dam du Président de la Cédéao. De plus, la menace d’une intervention militaire contre les putschistes nigériens serait en passe d’échouer par manque de consensus entre les États membres de l’organisation, de moins en moins convaincus du retour possible à l’ordre constitutionnel, les États-Unis cherchant plutôt à conserver leurs avantages sur le terrain en matière militaire.

 

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