L’avenir de la junte dans la perspective de l’élection présidentielle.

Dans sept mois, le nouveau président de la République du Mali sera élu. En principe. Le chef de l’État sera élu selon les règles démocratiques. En principe.

En politique, le temps est un critère capital. Pour les militaires au pouvoir, surtout, le délai restant avant le scrutin est à la fois long et court. D’après l’article 155 de la loi électorale du 24 juin 2022, « pour les élections pendant la Transition, les membres des forces armées ou de sécurité qui désirent être candidats aux fonctions de président de la République doivent démissionner ou demander leur mise à la retraite au moins quatre (04) mois avant la date de l’élection présidentielle marquant la fin de la Transition ». Si l’échéance a donc lieu en février 2024, comme cela est prévu, les colonels que la présidence de la République attire devront quitter l’armée en octobre au plus tard. Il leur reste ainsi trois mois pour se décider, trois mois pour se préparer. Les manœuvres dont ils usent depuis août 2020 pour retarder ce scrutin confirment leurs ambitions à tous et à chacun en particulier. C’est donc la survie de la junte qui se joue dans cette brève période. Que peut-il alors se passer ? Dans le cadre de l’histoire politique constitutionnelle de l’Afrique de l’Ouest francophone, cet article propose d’exposer quelques hypothèses.

La démission possible d’Assimi Goïta

 Le 19 août 2020, Assimi Goïta déclarait que le coup d’État visait « une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles pour l’exercice démocratique ». Dans la perspective de la présidentielle de février 2024, s’il veut respecter sa parole, il doit s’en tenir à l’article 9 de la Charte de la Transition modifiée en 2022 et à l’article 155 de la loi électorale, donc démissionner à la fois de la présidence de la Transition et de l’armée. Cet officier choisira-t-il de mettre fin à sa carrière militaire brillante, carrière au cours de laquelle il fut porté, très jeune, à la tête des forces spéciales ? La tentation de rester dans la vie politique, aux plus hautes responsabilités, lui fait aussi courir le risque d’une défaite électorale tout à fait possible : après des années de démocratie ratée, les Maliens ont bien le goût de l’uniforme, mais les conditions de rédaction de la Constitution de la IVe République et son adoption après un référendum catastrophique ont rendu Assimi Goïta impopulaire. L’appui des partis politiques lui fait également défaut, surtout depuis le remaniement ministériel du 1er juillet au cours duquel il a écarté les rares soutiens – motivés, il est vrai, par le seul désir de faire partie du gouvernement. Chef du Conseil national du Salut du Peuple (CNSP) puis de la Transition, depuis près de trois ans, Assimi Goïta demeure plus que la figure de proue du régime, malgré les discrètes rivalités au sein du groupe des colonels. Sa personnalité souvent décrite comme falote cache finalement un habile tacticien dont le quasi-mutisme et la grande réserve auront été des atouts. Fragilisé et près de tout perdre, il pourrait prendre une décision surprenante.

La tentation probable d’un mandat plus long

 À la suite de nombreux démocrates douteux, Assimi Goïta serait porté à user de la si pittoresque théorie du « mandat glissant », disposition coutumière dans les dictatures par laquelle un chef d’État retarde, pour une raison fantaisiste, la tenue de l’élection présidentielle dont l’issue risquerait de lui être défavorable. Par exemple, en 2016, en République démocratique du Congo, Joseph Kabila réussit à repousser le scrutin de trois ans, la Constitution lui interdisant un nouveau mandat. Sinon, une troisième modification de la Charte n’aurait rien d’étonnant pour permettre au titulaire de la fonction suprême de se maintenir au pouvoir – en Côte d’Ivoire, c’est de cette façon que Alassane Ouattara a conservé son fauteuil – ; la suppression de l’article 9 serait de même bien utile ; et la non-promulgation de la nouvelle Constitution, dont l’entrée en vigueur dépend de l’installation des nouvelles institutions, comme la présidence de la République (article 190), pourrait elle aussi servir Assimi Goïta.

L’intérim vraisemblable de Malick Diaw

En tout cas, sa démission ouvrirait la porte du palais de Koulouba à Malick Diaw. Comme président du CNT, qui fait office d’Assemblée nationale, celui-ci assurerait, de droit, l’intérim de la présidence de la Transition : ainsi en dispose l’article 7 de la Charte (dans sa version de 2022). Dans ces circonstances, le colonel ne pourrait pas se présenter devant les électeurs en février. Pour Assimi Goïta, cet empêchement écarterait un adversaire. Mais ce dernier accepterait-il d’abandonner les délices d’une fonction occupée de façon si provisoire ? Les colonels collaborent sans trop de difficulté depuis trois ans environ, mais l’envie de concrétiser une ambition commune contrarierait leur entente : Sadio Camara, Malick Diaw, Assimi Goïta, Abdoulaye Maïga, Daoud Aly-Mohammedine et Ismaël Wagué resteront-ils unis ?

Un coup d’État militaire plausible

 Un coup d’État est malheureusement plausible. Le Mali en a connu souvent et les pays de la région comme la Guinée et le Burkina Faso en ont été victimes récemment : au palais de Kosyam, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a été renversé par le capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022, huit mois seulement après avoir démis de ses fonctions le Président Roch-Marc Christian Kaboré. Les deux officiers faisaient pourtant partie du même Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Les alliés d’aujourd’hui sont les adversaires de demain.

Une éventuelle « rectification » de la Transition

La Charte de la Transition autorise tout citoyen à se présenter à l’élection présidentielle dès lors qu’il présente un casier judiciaire suffisamment vierge. Or, l’Afrique étant le continent où la banane est reine, il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’un prétendant au fauteuil présidentiel se débarrasse d’un de ses concurrents en plaçant sous ses bottes un spécimen de ce fruit dont la peau se révèle ô combien glissante quand le pied se porte dessus. On peut ainsi accuser un opposant de maux assez graves pour contrecarrer sa candidature. L’histoire récente du Mali rend crédible cette hypothèse. Que l’on se souvienne ainsi du coup de force d’un vice-président de la Transition en mal de pouvoir imputant au Président Bah N’Daw et au Premier ministre Moctar Ouane, en mai 2021, une « intention avérée de sabotage de la Transition ». Qualifiée de « rectification », cette mise à l’écart permit à Assimi Goïta d’accéder à la présidence de la Transition. Un colonel ambitieux pourrait donc vouloir réactiver un procédé si efficace contre l’un de ses collègues.

Un article publié sur le site Mali Actu le 13 juillet suggère une dernière hypothèse : « la Cédéao souhaite avoir la possibilité d’intervenir militairement contre les militaires avec le soutien de l’OTAN, au nom de la lutte contre le terrorisme. La Cédéao et ses bailleurs de fonds veulent ainsi déployer une force militaire au Mali pour remplacer les Casques bleus ». Que cette initiative se concrétise ou non, elle peut inciter l’armée au pouvoir à réagir avec force et donc sans aucun souci des règles constitutionnelles. Quoi qu’il arrive, les Maliens vont devoir se montrer patients et se préparer à des soubresauts importants. D’autant plus que les djihadistes continuent de gagner du terrain.

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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