L’affaire des soldats ivoiriens : Désastre juridique, catastrophe diplomatique.

Le 6 janvier 2023, le porte-parole du gouvernement annonce qu’Assimi Goïta « a accordé sa grâce avec remise totale de peine aux 49 Ivoiriens condamnés par la justice malienne » et emprisonnés depuis juillet 2022. Le conflit diplomatique entre le Mali et la Côte d’Ivoire semble donc résolu. Mais, pour cela, il aura fallu ranimer brièvement la Constitution de la IIIRépublique ou encore négliger la procédure à suivre en de telles circonstances, c’est-à-dire tordre le droit et soumettre la justice aux intérêts politiques (I). Rédigé en des termes amers à l’égard de la Cédéao notamment, le communiqué laisse de surcroît douter des intentions ayant conduit à cette issue a priori favorable ; voire, il ne fait qu’aggraver les relations diplomatiques désastreuses entre le Mali et les États d’Afrique (II).

I. Torsion du droit et soumission de la justice

Le Mali offrirait-il au monde entier l’exemple d’un dirigeant magnanime en la personne du président de la Transition ? Qu’on en juge d’après la nouvelle trouvaille de la junte pour se sortir du guêpier dans lequel elle s’est mise le 10 juillet 2022. Ce jour-là, elle a fait emprisonner quarante-neuf soldats ivoiriens qu’elle condamnait en décembre suivant pour « crimes d’attentat et de complot contre le gouvernement ; atteinte à la sûreté extérieure de l’État ; détention, port et transport d’armes et de munitions de guerre ou de défense intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle et collective ayant pour but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Après six mois de négociations, et par l’entremise de Faure Gnassingbé, le Président du Togo, Assimi Goïta consentait à libérer les prisonniers en recourant au droit de grâce, prévu à l’article 45 de la Constitution de la IIIe République, cette même Constitution qui avait pourtant perdu sa suprématie le 28 mai 2021, date à laquelle les juges constitutionnels reconnaissaient sa soumission à la Charte de la Transition. Cette résurrection de circonstance, surprenante, évidemment, montre la plasticité du droit et de la justice entre les mains de dictateurs, par définition sans scrupule, lorsqu’ils veulent atteindre leurs objectifs politiques. Pour cette raison, la junte a négligé la procédure du recours en grâce : en principe instruit par le ministre de la Justice, il doit donner lieu à un décret signé par le Président et contresigné par le Premier ministre et le ministre de la Justice. Aussitôt ressuscitée, la Constitution est piétinée. Mais, en septembre dernier, la libération des trois seules femmes parmi les quarante-neuf soldats illustrait déjà la domination du pouvoir sur la justice : pour « raisons humanitaires », elles pouvaient regagner leur pays sans qu’aucun droit de grâce ne fût prononcé et avant le verdict du procès les condamnant pourtant au même titre que leurs collègues masculins ! C’était faire grâce au droit de grâce. Une première ? Non : en 2021, le Président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane, eux aussi mis en cause pour complot contre l’État, recouvraient la liberté qu’ils avaient perdue, sans que la justice ne fût intervenue à aucun moment. Ces contradictions s’expliquent par l’obsession de la junte, atteindre la souveraineté à tout prix.

II. Des relations extérieures catastrophiques

Le « Mali ne figure plus sur la liste des pays intimidables et a définitivement retrouvé sa souveraineté », indique le porte-parole du gouvernement dans le communiqué. En effet, là se trouve la véritable raison de cette crise : la junte a cherché pendant six mois, avec orgueil, à s’opposer à la Cédéao, à bomber le torse, comme lors d’une parade militaire, comme si toute organisation internationale ou régionale risquait de mettre à mal son pouvoir sur le Mali. Cela prouve l’ignorance continuelle des colonels quant à la façon de diriger un État. Cette déclaration est aussi l’aveu de la nullité des accusations portées contre les soldats ivoiriens, aucunement des « mercenaires ». Pire encore : le document émanant du porte-parole du gouvernement aggrave la situation, car si la grâce a bien été prononcée, elle diffère de l’amnistie : la première se limite à suspendre l’exécution d’une peine, tandis que la seconde l’efface. Les soldats ivoiriens restent donc coupables. La grandeur d’âme d’Assimi Goïta telle que le communiqué l’exprime, qui « démontre une fois de plus son attachement à la paix, au dialogue, au panafricanisme, à la préservation des relations fraternelles et séculaires avec les pays de la région, en particulier celles entre le Mali et la Côte d’Ivoire », peut alors prêter à rire, d’autant qu’elle provient, en réalité, d’un bras de fer perdu par la junte. Mais le ton condescendant du colonel Maïga fait plutôt frémir quand il parle du président de la Cédéao, qui aurait « échoué lamentablement à porter atteinte à l’honneur du Mali ». Ce registre comminatoire éclate lorsque le ministre d’État affirme que la Cédéao n’agit pas assez pour lutter contre les terroristes et la pauvreté. C’est un comble alors que l’état du Mali résulte de cinquante ans de dictature militaire.

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

 

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