Critique littéraire de Kankou : “Débout payé”


“DEBOUT PAYE”

ECRIT PAR GAUZ, paru à l’automne 2014 aux éditions “le nouvel Attila”.

GAUZ, de son vrai nom Armand Patrick Gbaka-Brédé, est né en 1971 à ABIDJAN en Côte d’Ivoire.

Photographe, scénariste, rédacteur en chef d’un journal économique satirique ivoirien, il refuse à 18 ans une bourse pour venir faire ses études de vétérinaire à Maisons Alfort mais viendra par la suite suivre des études de biochimie à Jussieu avec un visa touristique.

Il devient rapidement un étudiant sans papiers.

“Debout payé” est un roman qui nous semble tellement proche de la réalité que tout au long de la lecture on se demande s’il ne s’agit pas finalement d’une autobiographie notamment à cause de ces interludes qui rythment le roman et durant lesquels l’auteur raconte sa propre expérience de vigile;

Ce roman nous raconte le périple parisien d’Ossiri mais aussi de plusieurs générations de “vigiles africains” depuis les 60’s jusqu’à l’après 11 septembre.

Ce roman est original, d’abord par le sujet dont il traite:  la vie, l’avis des vigiles d’origine ivoirienne – c’est surement généralisable aux vigiles africains qui arrivent en France. Ces gens dont finalement peu se soucient, invisibles pour beaucoup d’entre nous.

Gauz nous explique, dès les premières pages, comment et pourquoi le noir, fraichement arrivé ou non, devient vigile. Il dit, je cite ” Les noirs sont costauds, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeille de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur.”

Devenir vigile pour sortir de la misère, obtenir le fameux CDI avec peu de qualification ou une situation administrative pas toujours régulière. L’exploit, nous dit l’auteur, n’est pas tant de décrocher le poste mais de survivre à l’ennui qu’il implique. Il ajoute que: “Ennui, sentiment d’inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d’imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile.

« Debout payé » prend alors tout son sens, les vigiles sont payés pour rester débout, toute la journée, 12 heures durant, sans autre objectif que d’attendre la fin de la journée, du mois.

Dans son ouvrage, l’auteur se moque de tout le monde, de la société de consommation et ses clichés, ses travers “le vêtement apparait comme un consommable” par exemple vu la fréquence à laquelle il revoit certaines clientes, la musique abrutissante systématiquement diffusée dans les boutiques etc.

Sa propre communauté, la communauté ivoirienne de Paris, de la MECI (mouvement des étudiants de Côte d’Ivoire), devenue un ghetto plus réellement peuplé par des étudiants, n’est pas en reste. Il dénonce la ghettoïsation, des codes sociaux encore très ancrés, la façon dont le métier de vigile semble ancré dans la communauté de sorte qu’aucune autre perspective ne semble imaginable (et pourtant c’est le cas).

Il se moque également, d’une façon extraordinairement prémonitoire de BOKASSA qui était venu pleurer la mort de Pompidou alors qu’il avait commis des atrocités dans son propre pays contre son propre peuple. Ce n’est pas sans nous rappeler certains dirigeants africains actuels qui sont venus pleurer à PARIS lors des récents évènements mais n’en ont strictement rien à faire des 2019 morts à cause de BOKO HARAM au Nigéria.

Ce livre au-delà de son apparente légèreté se veut toutefois également très lucide. Notamment à travers la voix de la mère de notre héros Ossiri qui dénonce la colonisation puis la françafrique et l’acculturation que ces phénomènes ont entrainée (pour elle par exemple, il est hors de question de manger du pain pour le
petit déjeuner en Côte d’Ivoire, pays qui ne peut produire de blé ou encore le wax qui est désormais un tissu africain mais qui a été imposé à l’africain en tant que tel. Il note également le paradoxe à préférer la wax hollandais au “fancy” wax ghanéen ou nigérian prétendument de moins bonne qualité).

Ce roman est donc un satyre de notre société de consommation, insouciante et imperméable aux problèmes que peut rencontrer un sans papier africains en France.

Il dénonce également la schizophrénie culturelle dont peut être victime nombre d’entre nous.

Ce livre et notamment cette phrase “maintenant, ce sont des africains qui apprennent à des africains comment avoir honte d’eux même” n’est pas sans me rappeler le cas d’un certain président des jeunes de l’UMP, lui aussi sans papiers, qui s’est voulu plus royaliste que le roi.
Sans doute le fait d’avoir échappé à la misère décrite dans ce livre lui a-t-il fait pousser des ailes… Toujours est-il que le fait qu’il ait été abandonné par sa propre famille politique, démontre l’impact que peuvent avoir ces documents administratifs sur une vie et faire qu’une personne, pourtant qualifiée, ne soit considérée comme rien d’autre qu’un fraudeur, un criminel.

Pour finir, je remercierai l’auteur de m’avoir ouvert les yeux. Désormais je VOIS les vigiles dans les magasins.

Merci de m’avoir suivie, on se retrouve le mois prochain pour une nouvelle chronique.

Kankou SOUKOUNA

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