Choguel Maïga ou le crépuscule de la primature.

Il paraît que Choguel Maïga est le Premier ministre du Mali.

À ce titre, suivant l’article 11 de la suprême Charte de Transition et l’article 55 de la Constitution de la IIIe République, toujours en vigueur officiellement, il paraît aussi qu’il « dirige et coordonne l’action gouvernementale ». Le 1er juillet 2023, il a même été reconduit à son poste, qu’il occupe depuis le 7 juin 2021. Mais depuis ce remaniement ministériel, Monsieur Maïga n’est plus qu’un chef de gouvernement qui décline (I). La puissance du président de la Transition, Assimi Goïta, est un prélude au régime présidentiel prévu dans la Constitution de la IVe République, approuvée par le référendum du 18 juin, mais qui, pour la junte, tarde à s’appliquer (II).

 

Grandeur et décadence de Choguel Maïga

Choguel Maïga aura soutenu la junte jusqu’au bout. Ses provocations contre la France resteront dans les annales, tout comme sa forte exposition médiatique. Défendant sans vergogne la dictature, grâce à laquelle il a accédé à la primature début juin 2021, après la « rectification de la Transition »  – en réalité un second coup d’État ayant écarté le Président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane. On pensait que sa mise à l’écart temporaire, du 21 août au 5 décembre 2022, au profit d’un Premier ministre intérimaire, Abdoulaye Maïga, l’aurait fait réagir : l’orgueil est un sentiment naturel, salutaire pour tout homme politique soucieux de sa carrière, mais non ! Dans ses dernières déclarations, il s’est réjoui du référendum sur la nouvelle Constitution, alors que les partis politiques, dont le M5-RFP – son propre parti – et les citoyens exprimaient leur désapprobation. Le jour du scrutin, il a ainsi affirmé : « Tout Malien doit se rappeler que le projet de nouvelle Constitution est une exigence majeure du peuple malien du 5 juin 2020 au 24 mai 2024 ». Mais depuis la victoire du « oui », Monsieur Maïga n’est plus utile à la junte. Le 1er juillet, le chef de l’État a certes signé le décret le nommant encore chef de gouvernement, mais ses soutiens ont été remerciés. Choguel Maïga est très affaibli ; il n’est plus que le titulaire d’une fonction dont les attributions ont été prises par le président de la Transition et son influence politique a quasi disparu. Il en est réduit à de petites tâches de représentation : le 12 juillet, le Comité indépendant de suivi évaluation de la mise en œuvre des recommandations des Assises nationales de la Refondation (Cinsere-ANR) lui a ainsi remis son rapport. Quelle mission ! Assurer le service après-vente de la dictature… Choguel Maïga est devenu un prête-nom, la caution civile d’un régime qui s’est militarisé un peu plus, prélude de la IVe République présidentialiste en gestation.

 

Une fonction embarrassante, mais encore indispensable

Le poste de Premier ministre est un caillou dans la botte du colonel Goïta. Ce dernier s’en est bien vite rendu compte, sept mois après son coup d’État d’août 2020 : profitant d’un remaniement ministériel, le Premier ministre Moctar Ouane, en mai 2021, décidait que le gouvernement se passerait de deux officiers, proches du chef putschiste. Son audace lui avait valu une expulsion définitive du gouvernement et une assignation à résidence. Cependant, aussi gênant soit-il, la Charte de la Transition et la Constitution de 1992 imposent un Premier ministre, à moins d’une réforme de la Charte avant l’entrée en vigueur de la Constitution de la IVe République, qui, elle, ne prévoit pas cette fonction. Or, l’application de la nouvelle norme fondamentale ne peut avoir lieu rapidement. Il faut d’abord que la Cour constitutionnelle proclame les résultats du référendum, très favorables au texte, malgré la faible participation des électeurs ; il faut ensuite que le président de la Transition promulgue ce texte ; et il faut enfin attendre l’élection du nouveau président de la République, en 2024.

À ce problème de droit pour les colonels s’ajoute un problème politique : l’actuel chef du gouvernement est usé jusqu’à la moelle. Il est difficile que le chef de l’État puisse encore le laisser occuper son fauteuil. Toutefois, s’il doit lui trouver un successeur, seul un civil obéissant peut convenir, mais les profils de ce genre sont peu nombreux, eu égard aux contestations causées par l’organisation et les résultats du référendum : le remaniement ministériel a été un moyen de détourner l’attention du peuple. Bien sûr, il reste le recours du ministre intérimaire, mais sa qualité de colonel ne peut que déplaire aux Maliens et rendre moins crédible l’engagement d’Assimi Goïta de rendre le pouvoir aux civils dans deux ans. Les élections législatives prévues pour octobre 2023 feront peut-être émerger de nouvelles personnalités. Un nouveau Premier ministre pourrait s’imposer comme le chef d’une majorité au Conseil national de Transition. Ce n’est pas impossible, car les partis ayant appelé à voter « oui » au scrutin référendaire et déçus de n’avoir vu aucun de leurs membres entrer au gouvernement pourraient fédérer les mécontents et les abstentionnistes. Les trois mois qui viennent et le prochain scrutin vont sans aucun doute fragiliser le régime des colonels, donc le pousser à se durcir.

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

 

Souscrire à notre lettre d'information