Affaire Maïga contre Maïga : la Primature en jeu.

 

Écarté de la Primature le 21 août 2022, mis en réserve de la Transition, Choguel Maïga recouvrait officiellement ses fonctions le 4 décembre suivant et pensait peut-être profiter alors d’un retour en grâce. Si le décret annulant l’intérim d’Abdoulaye Maïga pouvait conforter cette idée, un autre décret, instituant un ministère d’État et aussitôt attribué au colonel Maïga affirmait le contraire. En effet, une concurrence semble désormais établie à la tête du gouvernement malien entre le premier des ministres et celui qui le suit dans l’ordre protocolaire. Ces deux nominations, prises simultanément, indiquent un malaise certain de la junte, mise en difficulté par la nécessité de préserver un Choguel Maïga devenu aussi gênant qu’utile (I) ; et constituent un nouveau coup porté au droit constitutionnel, au service d’une machination de la junte pour rester maître du jeu (II).

I. Le Premier ministre, un allié gênant 

C’est de façon assez cavalière, sur Facebook, que les Maliens apprenaient le retrait temporaire de Choguel Maïga, en août 2022, et c’est de façon ambiguë que cette information était formulée : « [A]près 14 mois de travail sans répit, le Premier ministre, chef du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, a été mis en repos forcé par son médecin ». Un accident vasculaire cérébral était certes invoqué par les uns, mais chacun avait à l’esprit le renversement de Moctar Ouane, éphémère Premier ministre de la Transition, un an auparavant – avec la junte, on n’était pas à un coup d’État près ! De Monsieur Maïga, on n’avait plus de nouvelles ; on le pensait aux oubliettes de la politique, les colonels putschistes ayant réussi à se débarrasser de cet allié un peu trop confiant, prenant trop bien la lumière des caméras et laissant le souvenir trop mémorable d’un discours à l’ONU, petit chef-d’œuvre d’insolence à l’égard de la France, la meilleure ennemie du Mali. C’était sans compter sur les forces de Choguel Maïga, vieux briscard de la politique, capable de se rendre indispensable à une junte de plus en plus contestée par le peuple, surtout depuis la publication de l’avant-projet de Constitution en octobre dernier. Ce texte, qui prépare une République présidentialiste et militaire, a bien besoin d’un civil comme garant : Monsieur Maïga, qu’on a vu retourner son boubou plusieurs fois, est l’homme de la situation. Assimi Goïta l’a donc reconduit officiellement à ses fonctions ; cependant, comme il a aussi montré son goût du pouvoir, il suscite toujours la méfiance. Pour le réduire tout en profitant de son aura, le régime a revêtu le fidèle colonel Maïga de la dignité de ministre d’État.

II.  Ministre d’État et chef du gouvernement

Nul doute que la distinction de ministre d’État accordée à Abdoulaye Maïga se justifie non par la reconnaissance de la Transition pour un intérim de trois mois à la Primature, mais comme le moyen de le laisser poursuivre sa tâche, officieusement. Le poste de Premier ministre est donc désormais honorifique, même si Choguel Maïga reste bien chef du gouvernement, car les véritables pouvoirs sont désormais entre les mains du ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, qui, d’après le décret est officiellement chargé de l’intérim si le Premier ministre ne peut assumer ses fonctions. Rappelons que la junte avait improvisé cette mesure, puisque la Charte de la Transition ne l’avait pas prévue… Le mal est réparé. Une fois encore, donc, la junte s’efforce de berner tout le monde : elle recourt à l’imposture imaginée en 2020 lorsque le poste de vice-président était créé afin d’affaiblir celui de président de la Transition. Elle continue de réécrire, seule, le texte qu’elle a élaboré à la va-vite lors du coup d’État contre Ibrahim Boubacar Keïta : il est vrai que le costume de dictateur militaire est plus seyant une fois retouché. Cela augure mal du projet de Constitution de la nouvelle République.

 

Balla cissé
Balla CISSÉ
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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