Affaire de 46 « mercenaires » ou « missionnaires » ivoiriens : enfin le bout du tunnel ?

Assi et Alassance

 

 Depuis le 10 juillet 2022, c’est le sujet qui anime les réunions publiques ainsi que les conversations quotidiennes aussi bien au bord de la lagune à Abidjan qu’au bord du fleuve Djoliba à Bamako.  A cette date, 49 soldats (3 femmes ont été libérées pour raison humanitaire) ivoiriens débarquaient à l’aéroport de Bamako avec des munitions assez importantes. Selon le gouvernement ivoirien, ces soldats venaient dans le cadre de la mission des Nations Unies au Mali. Ils seraient donc en « mission ». En revanche, pour les autorités maliennes, Il s’agit plutôt des « mercenaires » qui viennent déstabiliser le pays. Si de part et d’autre différentes interprétations peuvent découler des dénominations « missionnaires » ou « mercenaires », un fait demeure probant : la présence légale des militaires ivoiriens sur le sol malien n’a pu être démontrée ni par le gouvernement ivoirien ni par la mission des Nations Unies au Mali. Dès lors, nous assistons à un imbroglio politico-judiciaire aux contours complexes. Comment en est-on arrivé là ?  Va-t-on vers une sortie de crise ?

 

                                               La guerre de communiqués

 Au tout début de l’affaire, les gouvernements malien et ivoirien se sont livrés à une véritable bataille de mots via des communiqués interposés. A la première déclaration publique des autorités maliennes qui considèrent les soldats ivoiriens comme étant des « mercenaires », le président Alassane Ouattara sommé son homologue Assimi Goïta de libérer les militaires « sans délai ». Il faut dire que les poids des opinions publiques de part et d’autre ont contribué à hausser le ton. Etant rappelé que cette affaire est intervenue seulement une semaine après la levée des sanctions économiques qui frappaient le Mali depuis janvier 2022. Sanctions auxquelles la  Cote d’Ivoire de ADO n’était pas étrangère. Chaque camp étant soutenu par son opinion publique, nous sommes donc passés de « sans délai » à « cent délais »

                                    La judiciarisation du dossier

Le 15 août 2022, soit un peu plus d’un mois après leur arrestation, les militaires ivoiriens ont été inculpés par la justice malienne. Les principales cheffes d’accusation sont : « crimes d’associations de malfaiteurs ; attentat et complot contre le gouvernement ; atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ». Dès lors, l’affaire a pris une autre tournure. Les communiqués au ton belliqueux ne peuvent plus rien changer. Et le gouvernement malien a désormais une bonne excuse : ne pas s’immiscer dans une affaire désormais en justice. Par conséquent, le dialogue bilatéral se trouve au point mort. Il faut donc tenter une nouvelle approche. Et c’est là que la diplomatie entre en jeu.

                                         La médiation togolaise

Alors que ses relations sont pour le moins tendues avec la quasi-totalité des gouvernements de la sous-région, le colonel Assimi Goita semble être en bonne entente avec le président togolais Faure Gnassingbé. C’est pour cette raison que le ministre des affaires étrangères du Togo mène depuis quelques mois une médiation pour aboutir à un dénouement heureux. Il faut dire que les premiers rounds de négociations ont été soldés par des échecs. En effet, Bamako avait posé comme préalable l’extradition des personnalités politiques refugiées sur le sol ivoirien depuis la chute du régime IBK. Cette condition fut rejetée par les autorités ivoiriennes qui parlent alors de « prise d’otage ». Le ton monte à nouveau. Dans les résolutions des multiples rencontres de la CEDEAO, on n’a cessé d’appeler à la libération des soldats ivoiriens sans résultat. Le point d’orgue de ces injonctions intervient lors du dernier sommet ordinaire de l’organisation sous régionale où les autorités maliennes sont sommées de libérer les 46 soldats d’ici le 1er janvier faute de quoi des sanctions pourraient être prises sans en préciser leur nature.

La fumée blanche ?

Le jeudi 22 décembre 2022, une importante délégation ivoiro-togolaise conduite respectivement par le ministre de la défense de Cote d’Ivoire Tene Birahima Ouattara, frère cadet du président Alassane, et le ministre togolais des affaires étrangères, Robert Dussey, a séjourné dans la capitale malienne avec comme objectif d’obtenir « enfin » l’élargissement des soldats. Il faut dire que cette fois-ci les signaux semblent au vert. Pour preuve, la délégation ivoirienne a été autorisée à rendre visite aux soldats dans les geôles avant un tête à tête avec le colonel Assimi Goita.  Au sortir de cette audience, le ministre de la défense ivoirien s’est dit « satisfait » de l’entrevue et un mémorandum entre les deux parties a été signé. Celui-ci « acte » la libération des soldats. Dans son contenu, les deux pays s’engagent à ce que leurs territoires ne soient pas utilisés comme des bases arrières de déstabilisation. Bamako semble donc avoir réussi à infléchir Abidjan. Néanmoins, un point de blocage demeure. Il s’agit de la judiciarisation du dossier dont on a évoqué plus haut. En clair, les soldats ivoiriens ne peuvent pas être libérés sans que ce contentieux ne soit vidé. Cependant en lisant entre les lignes, nous savons que le dossier est plus politique que judiciaire. Ainsi, si la volonté politique telle qu’exprimée dans le mémorandum est réelle, on pourra assister à une décision de justice dans les prochains jours allant dans le même sens. La libération interviendra-t-elle avant le 1er janvier 2023 comme exigée par la CEDEAO ? Rien n’est moins sûr. Au-delà de la question juridique qui pourrait prendre un peu de temps, les autorités maliennes ne souhaitent pas perdre la face vis-à-vis des populations maliennes. Et avec cette avancée, la CEDEAO pourrait être plus flexible par rapport au délai du 1er janvier.

 

Bréhima Sidibé
Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université

 

 

 

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