Quel avenir pour la Constitution du Mali ?

Constitution du Mali

Quel avenir pour la Constitution du Mali ?

Envisager l’avenir du Mali est une gageure qui tient de l’imprudence, car le pays ne s’est toujours pas extirpé du cycle continuel dans lequel il est pris depuis 1960 : à un coup d’État militaire succède un conseil national de transition qui prétend rétablir les civils au pouvoir… Les périodes démocratiques ne durent jamais. Cette histoire sans fin affaiblit toujours plus la Constitution, éternel prétexte justifiant le recours à un régime d’exception suspendant les institutions pour mieux les protéger, mais les fragilisant davantage. Au lendemain du putsch du 18 août 2020Assimi Goïta affirmait ainsi « organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes ». Depuis, il a tenu parole : les institutions sont fortes ; si fortes même qu’elles empêchent les Maliens de s’exprimer dans les urnes. 

Le colonel putschiste a ainsi nommé, seul, le chef de l’État et le Premier ministre.

Autrement dit, si la Constitution de 1992 demeure officiellement en vigueur, elle ne trouve plus à s’appliquer, concurrencée et supplantée qu’elle est par la charte adoptée en octobre dernier par le Conseil national pour le Salut du Peuple. Ce texte, en effet, crée des innovations importantes touchant notamment le pouvoir exécutif : une fois de plus, le Mali a vu sa Constitution révisée sans l’accord des citoyens, alors que son article 26 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum »Au nom de la théorie de la souveraineté populairele véritable titulaire du pouvoir constituant est le peuple, mais son excellence Assimi Goïta, premier vice-président du Mali depuis l’indépendance, n’a que faire des contradictions juridiques. Les prérogatives qu’il s’est octroyées sont si grandes qu’il peut confondre pouvoir de révision et pouvoir constituant originaire. La Constitution de la IIIe République est donc souffrante ; quel avenir peut-elle espérer ? Nous montrerons qu’il est vain d’attendre son rétablissement (I) et que l’adoption d’une nouvelle norme fondamentale est nécessaire pour le Mali (II). 

  1. L’agonie de la Constitution de la IIIe République 

Dans son préambule, la charte de la transition indique « compléte[r] la Constitution du 25 février 1992 » et en être « partie intégrante » alors que les chefs d’États successifs ont maintes fois touché à son intégrité. L’appui qu’elle lui apporte en apparence est cependant contredit par la réalité des nouvelles dispositions institutionnelles qui, en effet, lui portent des coups définitifs : les militaires ont malmené la Constitution (A), leur travail de sape atteignant son acmé avec l’instauration d’une charte de transition ambiguë (B). 

  1. Des institutions malmenées par les militaires au pouvoir 
  1. Des pouvoirs constitutionnels détournés 

Si Ibrahim Boubacar Keïta a démissionné, conformément à l’article 36, c’est sous la pression d’Assimi Goïta. Constitutionnellement, donc, rien n’autorisait les militaires à renverser le Président, même si une majorité du peuple malien, semble-t-il, soutenait leur action. Derrière une légalité apparente se cachait un coup d’État qui entraînait la paralysie de la Constitution, car IBK, en même temps qu’il laissait le pouvoir, prononçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette décision rendait impossible l’intérim du chef de l’État, en principe assuré par le président de l’Assemblée.  

La période de transition qui s’est ensuivie et que connaît toujours le Mali s’apparente à la durée au cours de laquelle, d’après l’article 50 de la Constitution, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels : 

« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du

Premier ministre, des présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des collectivités ainsi que de la Cour constitutionnelle. […] »

 

Cependant, « la continuité de l’État et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution » ne sont toujours pas assurés, la junte préférant mettre en place ses propres organes, en fonction d’une charte de transition qu’elle a élaborée. 

  1. L’instauration d’une charte de transition ambiguë 

 

De sa rédaction à son application, de son contenu à son rapport à la Constitution, la charte adoptée par acclamation le 12 septembre 2020 est un objet juridique extraordinaire. N’émanant ni de la volonté du pouvoir constituant populaire, ni d’une Assemblée constituante, ce texte ne peut être assimilé à une Constitution. Cependant, il prétend compléter la norme fondamentale (ainsi l’indique son préambule), tout en s’affirmant comme supérieur à elle lorsque leurs dispositions s’opposent (article 22). Quelle est donc la nature juridique de la charte ? Est-elle une « supra-paraconstitution » ou une Constitution juxtaposée à celle de 1992 tout en étant plus forte qu’elle ? Cela semble le cas au vu du titre 2, qui organise les principaux pouvoirs publics et que les militaires s’appliquent à suivre scrupuleusement. L’article 118 de la Constitution, pourtant capital, est ainsi bel et bien écarté, lui qui dispose notamment que « le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum »De ce point de vue, la charte ne laisse plus de doute quant à sa nature : c’est une petite Constitution qui entérine le régime dictatorial imposé par Assimi Goïta et ses hommes. 

  1. La charte de la transition, une Constitution illégale 
  1. La confiscation du pouvoir constituant originaire 

En dépit de la promesse de permettre aux Parlementaires de réviser la Constitution, les citoyens n’ont toujours pas élu leurs représentants, et pour cause : d’après la charte de la transition, il appartient au pouvoir exécutif de nommer les membres du Conseil national de transition chargés de modifier la ConstitutionMais, alors, quelle valeur accorder à un texte écrit par des députés que le peuple n’aura pas choisis ? Dans cette hypothèse, rien n’indique qu’il pourra exprimer son assentiment sur la nouvelle norme suprême. Cette absence de dialogue socio-politique pour régler les problèmes du pays révèle le mépris de la junte pour la démocratie et son refus de remettre à d’autres le droit constitutionnel qui est le leur d’élaborer une nouvelle Constitution ; car la charte, telle qu’elle est rédigée et appliquée, offre aux dirigeants actuels des prérogatives propres à celles d’un dictateur – le juge constitutionnel peut bien s’en offusquer, en contrôlant la constitutionnalité des lois révisant la Constitution ! L’article 7 est à ce titre tout à fait éclairant : « Le vice-président est chargé des questions de défense et de sécurité ». La rédaction laconique de ce passage en autorise une interprétation exagérément grande : est-ce à dire que le vice-président a tout pouvoir, y compris celui, illimité, de réviser ou d’adopter une nouvelle Constitution ? Mais l’illusion peut tourner à la virtuosité si la junte a l’audace de faire appel à l’article 118 de la Constitution qui dispose que « l’initiative de la révision appartient concurremment au président de la République et aux députés ». Elle légitime alors les décisions des Parlementaires nommés par l’exécutif. Ici, la politique, on le voit, prime le droit. Au mieux, on peut donc s’attendre à un régime original et fantaisiste, le « despotisme militaire éclairé », sinon, on verra une marionnette à la tête du Mali, un pantin articulé par les militaires.  Le journal officiel du Mali donne une indication sur la nature du pouvoir de transition

  1. Une forte transformation des institutions 

Nombreuses sont les dispositions de la charte de la transition qui donnent au vice-président des pouvoirs très étendus. Retenons surtout l’article 7 : « Le vice-président est chargé des questions de défense, et de sécuri »; car cette disposition est suffisamment vague pour amoindrir les fonctions de président de la République et de Premier ministre au profit du vice-président, véritable dirigeant du pays. Ce poste, inédit dans l’histoire du Mali, est aujourd’hui attribué au colonel Goïta, ce qui confirme une fois encore la nature militaire de la dictature, car même si le Premier ministre, Moctar Ouane, est un civil, ses attributions sont moins importantes que celles du vice-président.  

Il est donc déraisonnable d’espérer la révision ou le rétablissement d’un texte dont les militaires ont parachevé la destruction et qui ne survit qu’en apparence. Le Mali a besoin d’une nouvelle République. 

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  1. La nécessité d’adopter une nouvelle Constitution 

« L’histoire, je le crains, ne nous permet guère de prévoir, mais, associée à l’indépendance d’esprit, elle peut nous aider à mieux voir ». Ainsi parlait Paul Valéry. Osons appliquer cette pensée à l’histoire constitutionnelle du Mali afin d’éviter de reproduire les erreurs qui expliquent en partie les échecs politiques du pays. Il faut rechercher la stabilité dans une nouvelle Constitution, et non dans une énième révision constitutionnelle (A) ; un régime parlementaire, assuré par une IVe République, est indispensable pour sortir de la crise (B). 

  1. La grande faiblesse des révisions constitutionnelles 
  1. La confusion du pouvoir de révision et du pouvoir constituant originaire 

Par ailleurs, étant donné, nous l’avons dit, la subjectivité des révisions constitutionnelles, une question se pose : en pratique, où situer la frontière entre la simple révision et la mise en place d’une nouvelle Constitution ? Ainsi, peut-on parler d’un pouvoir constituant originaire dans le mécanisme de révision constitutionnelle ? Or, la transformation du pouvoir de révision en un pouvoir constituant originaire est problématique, car le principe de l’unicité conceptuelle constitue une limite au respect de l’État de droit. Autrement dit, on ne peut pas soutenir que le pouvoir de révision constitutionnelle pourrait conduire à « l’écriture d’une nouvelle Constitution » au regard du respect des exigences de l’État de droit. Cette confusion entre pouvoir de révision et pouvoir constituant originaire permet de mieux comprendre pourquoi les Présidents successifs, sous la Troisième République, ont eu autant de mal à conduire à son terme une procédure de révision de la Constitution. 

  1. Les nombreuses révisions de la Constitution sous la IIIRépublique 

Notre conviction est que si ces révisions ont avorté, c’est d’une part à cause de leur nature, décidée par les présidents de la République et, d’autre part, en raison d’une confusion créée par l’importance plus ou moins grande des changements suggérés : tantôt ils ont conduit à réviser la Constitution, tantôt à la réécrire. Disons-le ici, la révision constitutionnelle comme solution de sortie de crises ne peut pas se présenter comme une compétition entre le pouvoir en place et l’opposition. D’ailleurs, la révision ne se fait pas sur le fondement de la longévité de la Constitution, comme d’aucuns l’affirment : elle s’impose au regard des circonstances. On ne peut finalement nier que la révision consiste dans la modification de la Constitution en vigueur et qu’elle ne peut pas avoir recours au pouvoir constituant dérivé. Mais l’échec des révisions constitutionnelles envisagées sous la Troisième République repose aussi sur le fait que les hommes politiques veulent profiter de la situation pour faire passer des amendements étrangers aux problèmes constitutionnels du moment. 

  1. Un changement de Constitution pour quel régime politique ? 
  1. Deux conditions : respecter le rôle du peuple et la démocratie 

Si la révision de la Constitution est de plus en plus utilisée comme « moyen politico-juridique » pour répondre aux nouvelles exigences de la gestion d’un État, au regard de l’instrumentalisation des Constitutions en Afrique noire francophone, nous plaidons pour un recours à un pouvoir constituant populaire. Cela étant dit, la Constitution est un acte vivant, elle doit être révisable et changeable par le peuple ou par ses représentants.  

  1. Le choix d’un régime parlementaire et d’une IVRépublique 

Nous souhaitons un rééquilibre des institutions par l’instauration d’un régime parlementaire original propre au Mali. Il est ainsi nécessaire de revoir les pouvoirs du président de la République tels qu’ils sont définis dans la Constitution de 1992, tout en maintenant l’élection de ce dernier au suffrage universel direct, au regard des pouvoirs des autres institutions comme le Parlement. En d’autres termes, l’instauration d’un régime parlementaire adapté aux réalités maliennes permettrait de redéfinir les règles du jeu démocratique et de la construction de moyens juridiques durables face aux circonstances inconstitutionnelles.  

Nous partageons l’idée que la charte de la transition « inconstitutionnelle » peut favoriser le passage d’une République à une autre, seulement si les militaires finissent par mettre en place une Assemblée constituante pour préparer l’avènement d’une Quatrième République. Car le débat sur l’avenir de la démocratie malienne ne repose plus, désormais sur une alternative : de petites révisions constitutionnelles successives ou l’instauration d’un régime parlementaire adapté aux réalités socio-politiques maliennes ; théoriquement, tout plaide pour la réalisation de cette dernière proposition pour reconstruire l’État. Ainsi seulement les Maliens gagneront la souveraineté qui leur est due.   

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Balla CISSÉ 

 

Docteur en droit public ; diplômé en administration électorale et membre du Réseau Afrique Stratégie
 

Auteur de la thèse : Le juge, la doctrine et le contrôle des lois de révision de la Constitution, publiée dans la collection « Logiques juridiques », L’Harmattan, 2020, 302 p. 

 

 

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