Que vaut le sommet de la CEDEAO ?

 

Ce dimanche 4 décembre 2022 à Abuja, au Nigeria, les chefs d’Etats et de gouvernements de l’espace CEDEAO se retrouvent pour un sommet ordinaire, le soixante-deuxième du genre. Il faut dire que les sujets de discussions ne feront pas défaut. En effet, depuis plus de deux ans, la région ouest africaine fait face à « une épidémie de Coup d’Etat ». Commencée au Mali en août 2020, elle s’est poursuivie en Guinée en septembre 2021 avant de faire « deux vagues » au Burkina Faso dans cette année 2022. Dès lors, la CEDEAO se trouve sous les feux de projecteurs ou sinon sous les feux de critiques. En tant que organisation supra régionale, elle se doit d’intervenir dans ses Etats membres afin de contribuer au retour à un ordre constitutionnel. Si les trois pays cités plus haut ont en commun de vivre une période de transition dirigée par des militaires, dans les faits il s’agit des situations pas tout à fait similaires.

De manière chronologique, nous revenons sur les enjeux de ce sommet par rapport aux transitions politiques au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.

Mali : l’éternel dossier

Qui peut compter le nombre de voyages effectués au Mali par le médiateur de la CEDEAO dans la crise malienne, Goodluck Jonathan ? Pas plus tard que le début de la semaine, l’ancien président nigérian était revenu à Bamako afin de s’entretenir  avec les autorités de transition. Au menu des discussions, les progrès enregistrés dans les réformes politiques et institutionnelles. On peut citer, entre autres, la désignation des membres de l’Autorité Indépendante de Gestion des Elections (AIGE) ; l’avant-projet de la nouvelle constitution ; l’adoption en Conseil des Ministres des projets de textes relatifs à la réorganisation administrative et territoriale sans oublier bien sûr le calendrier électoral qui a été publié depuis plus de six mois.

Face à ces avancées, les chefs d’Etat et de gouvernements de la CEDEAO devraient adopter une attitude beaucoup plus conciliante vis-à-vis des autorités maliennes. Pour l’heure la marche vers un retour à l’ordre constitutionnel semble suivre son cours. Cependant dans ce climat plus ou moins délétère, un revirement n’est pas impossible surtout quand on sait que tout ceci dépend de l’amélioration de la situation sécuritaire. Bienveillance et prudence seront sans doute de mise dans ce dossier malien.

Toutefois, un autre sujet pourrait s’inviter dans ce sommet. Il s’agit du cas des 46 militaires ivoiriens arrêtés au Mali depuis juillet 2022. Malgré les multiples médiations conduites par le Togo, le président togolais, Faure Gnassingbé ne semble pas être assez fort pour régler cet imbroglio. Et la marge de manœuvre de la CEDEAO est réduite pour deux raisons principales. Premièrement, il s’agit là avant tout d’un problème bilatéral entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Prendre parti pour l’un peut braquer l’autre. Deuxièmement, le ,dossier des 46 « mercenaires » ou « missionnaires » ivoiriens est désormais entre les mains de la justice malienne. Cela peut être une bonne excuse pour les autorités maliennes pour ne pas accéder aux éventuelles demandes de la CEDEAO.  A l’issue de ce sommet, on assistera peut être aux traditionnelles déclarations appelant à la libération de ces soldats sans aucun moyen d’action.

Guinée : la rebelle

Parmi les trois pays qui traversent une période de transition, la Guinée semble être le pays qui entretient le bras de fer avec la CEDEAO. Pour cause, depuis le coup d’Etat du 5 septembre qui a renversé l’ancien président Alpha Condé, aucun calendrier électoral consensuel n’est à présent disponible. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que la Guinée, contrairement au Mali ou au Burkina Faso, n’est pas confrontée à une situation d’insécurité. Cependant, dans une stratégie qui consiste à gagner du temps, les autorités guinéennes se sont lancées dans des exercices similaires au Mali, à savoir l’organisation d’un dialogue national. Le concept de « dialogue national » semble être une nouvelle méthode de légitimation des pouvoirs issus de coup d’Etat.

Au sortir de ce dialogue, une période de transition de 24 mois a semblé être actée. Cependant une question demeure. C’est la suivante : à partir de quand ce délai de 24 mois commence ? De la date du 5 septembre 2021 ? De la fin du dialogue ? Pour le président de transition, le colonel Mamady Doumbouya,  ce n’est rien de tout cela. Selon lui, le délai de 24 mois débute à partir du 1er janvier 2023. Intitule de dire que la classe politique ne partage pas cet avis. Et c’est là tout l’enjeux de ce sommet de la CEDEAO pour la Guinée. La question est toute simple : les chefs d’Etats et de gouvernements vont-ils accepté cette échéance ? A cette questions deux hypothèses nous semblent plausibles. Si la réponse est oui, la CEDEAO se discréditerait davantage aux yeux des populations et de la classe politique. En revanche, si la CEDEAO exige que le délai commence à une date antérieure au 1er janvier 2023, le bras de fer peut se durcir. Ira -t-on vers des sanctions comme ce fut le cas au Mali en début d’année ? Pas si sûr ! Cela pour deux raisons. Les sanctions imposées au Mali ont été considérées comme injustes et ont contribué à ternir l’image de la CEDEAO dans ce pays. Les autorités maliennes en ont également profité pour gagner la sympathie des populations. Chat échaudé craint l’eau froide dit-on ! Aussi, la Guinée, contrairement au Mali, a accès à la mer. Une éventuelle fermeture des frontières serait sans effet. Dans le même ordre d’idée, ce pays n’est pas membre de l’espace UEMOA donc des sanctions économiques sont inutiles.

Burkina Faso: « le chouchou »

Contrairement aux deux cas que nous avons vus plus haut, les relations entre l’organisation sous régionale et le Burkina Faso sont au beau fixe. En effet, depuis le premier coup d’Etat du 24 janvier 2022, ce pays a bénéficié de l’accompagnement de la CEDEAO. Le calendrier électoral qui fixe la fin de la transition en juillet 2024 a été validé. Le nouveau putsch perpétré par le capitaine  Traoré n’a pas changé cette donne. D’ailleurs le respect de ce calendrier était l’une des conditions fixées par Damiba pour quitter le pouvoir. C’est pourquoi il n’y a pas eu de sommet extraordinaire suite à ce coup d’Etat.

Ce soixante-deuxième sommet devrait donc confirmer les relations cordiales qui existent entre le Faso et la CEDEAO.


Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université

 

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