Les précisions sur la vacance du pouvoir du président de la transition au Mali 

Dr Balla CISSE

Précisions sur la vacance du pouvoir du président de la transition au Mali

Bah N'DAW , ex président de la transition
Bah N’DAW dont la démission militairement assistée a plongé le Mali dans la vacance du pouvoir du président de la transition

Retour sur l’arrestation du Président et son Premier ministre par la junte militaire  

Il faut d’abord parler de son motif véritable : la composition du gouvernement devait-elle être soumise à l’avis du vice-président, au regard de l’article 7 de la charte ? En d’autres termes, le Président de la transition peut-il nommer librement les ministres chargés des questions de sécurité et de défense sans l’accord préalable de son vice-président ? 

S’il y a absence de consultation préalable ou d’accord entre les deux, en se fondant sur la lettre et l’esprit de la charte, l’acte du Président pourrait être qualifié de violation de son serment (voir article 10), et aussi de non-respect de l’article 7 de la Charte qui donne compétences au vice-président sur les questions de sécurité et de défense.  

Cependant, le problème est que la charte ne dit rien quant à la composition du gouvernement. L’article 7 attribue certes au vice-président des pouvoirs très étendus, mais comme ils ne sont pas du tout précisés, on peut les interpréter de manière extensive. Toutefois, le préambule de la charte renvoie à la Constitution de 1992. Or, dans ce texte, le poste de vice-président n’existe pas ! Par conséquent, le Président et le Premier ministre n’ont de compte à rendre à personne quand ils élaborent la liste des membres du gouvernement. On le voit, donc, aucun raisonnement juridique ne peut légitimer l’arrestation du Président et du Premier ministre. 

 Ensuite, la charte donne-t-elle le droit au vice-président de pousser le Président à la démission ou de le destituer s’il vient à violer ce texte  

Aux termes, de l’article 4 de la Charte, le Président de la transition est le garant du respect de la Constitution et de la charte. Donc, qui est le véritable gardien de la charte entre le Président et son vice-président au regard de l’article 4 de la Charte ?  La réponse est claire : c’est le président de la Transition.  

Toutefois, l’argument invoqué par le conseiller spécial du vice-président trouve, de façon implicite, son fondement dans l’article 10 de la charte. Aux termes de cet article, le vice-président est un gardien de la Charte et de la Constitution au même titre que le Président de la Transition. Le serment que prête le vice-président l’autorise à employer tout moyen pour faire respecter la Charte, y compris lorsqu’elle serait violée par le Président. Alors, si la violation de la charte est caractérisée, peu importe les termes utilisés : coup de forcecoup d’État en se fondant sur l’article 121 de la Constitution, pour qualifier l’arrestation du Président et de son Premier ministre par la junte. La junte est alors légitimée au nom de la protection de la souveraineté de l’État. 

Il faut aussi se demander quel est le rôle du président de la Cour suprême, puisque c’est lui qui investit le Président et le vice-président (article 10). N’est-ce pas lui qui devrait juger les actes du Président et a le pouvoir de prononcer sa destitution ? 

 Enfin, le président de la Transition et son Premier ministre ont-ils trahi les intérêts du Mali, si l’on se fie sur les explications données par le conseiller spécial du vice-président ?  

 

Si oui, leur destitution ou leur démission « militairement assistée » sont légitimes en ce qui concerne la sûreté nationale. 

De même, le Président de la transition, au regard des pouvoirs que lui confère la charte ou la Constitution, a-t-il le droit de communiquer les documents concernant les questions de défense et de sécurité à un État tiers ?  Si oui, la destitution ou la démission forcée peut trouver une légitimation ou une motivation acceptable au nom de la protection de la souveraineté de l’État par l’armée. 

Mais tout ce raisonnement ne tient que si l’on légitime la charte de la Transition. Or, ce texte a été écrit par les militaires seuls et n’a pas été soumis à l’approbation des citoyens. 

 Le Colonel Assimi Goïta : Qui est l’homme et que veut la junte militaire ?  

  Assimi Goita est un colonel de l’armée malienne, âgé de 37 ou 38 ans, selon les données. Il a présidé le Comité national pour le salut du peuple du 19 aout 2020 au 18 janvier 2021. Donc il était le chef de l’État du Mali de facto du 24 août 2020 au 25 septembre 2020, aux termes de l’acte fondamental.

Il devient ensuite le vice-président de la Transition du 25 septembre 2020 au 26 mai 2021. Depuis le 26 mai 2021, au regard de l’absence des dispositions dans la charte concernant la démission, et étant donné la vacance du pouvoir présidentiel de la transition, il devient le Président de la transition (article 11 dans l’ancienne version de la charte).  Dans les faits, il a été l’homme fort du Mali même avant la démission militairement assistée du Président de la Transition et de son premier ministre, puisque c’est lui qui est à l’origine de la charte qui organise les institutions du Mali. 

Maintenant, concernant la question : « Que veut la junte militaire ? » 

 Je ne suis pas dans le secret des dieux qui commandent la caserne de Kati !  

Toutefois, en s’en tenant aux faits, on peut affirmer que la junte veut diriger, seule, la transition, qui est censée préserver l’unité nationale et protéger la souveraineté du Mali. Les militaires au pouvoir veulent clairement conduire la destinée du Mali sans être contraints par la communauté internationale tout en donnant l’apparence de vouloir coopérer : c’est la raison pour laquelle Assimi Goïta ne s’est pas opposé à la venue de Goodluck Jonathan, le médiateur de la CEDEAO. 

Ils veulent aussi le soutien du peuple malien et de la classe politique dans son ensemble pour légitimer leur pouvoir pris par la force. En effet, le M5-RFP a été sollicité pour faire partie du gouvernement.  

Enfin, ils veulent a priori qu’on les laisse gouverner et qu’on les juge au terme de la transition sur leur bilan concernant la refondation de l’État. Mais on peut légitimement se demander si Assimi Goïta ne cherche pas à gagner du temps pour installer un pouvoir plus autocratique encore. 

Dans le discours du conseiller spécial du vice-président, la junte aurait été empêchée par le Président et son Premier ministre de mettre en place des stratégies conduisant à la résolution des problèmes liées à la sécurité et de la refondation de l’Etat. En tout état de cause, la junte semble avoir été empêchée par le Président sous la pression sociale et internationale de remplir sa mission concernant la protection de la sûreté de l’Etat ? 

  Quelle pression internationale sur la junte militaire et pour quel impact ? 

Ces questions sont très importantes. Quels effets les sanctions auront-elles, surtout si la junte refuse de remettre le pouvoir aux civils ? Les sanctions sont-elles dans l’intérêt du peuple malien, le plus souvent pauvre et privé de démocratie ? 

 Sur quel fondement la communauté internationale va-t-elle justifier ses sanctions : le manque démocratie ? la progression des terroristes vers Bamako ? la mise en application retardée de l’accord d’Alger ?  

Le problème, en effet, est le manque de cohérence de la communauté internationale, qui a récemment légitimé la présence des militaires à la présidence du Tchad. Ce choix ne peut-il pas faire jurisprudence et légitimer, aux yeux de la junte, son refus de rendre le pouvoir aux civils ? Car les militaires maliens peuvent aussi avancer, comme leurs homologues tchadiens, que leur coup vise à protéger l’unité du pays ! On le voit, la crédibilité de la communauté internationale est mise à mal.  

Il faut peut-être attendre des sanctions à l’égard du régime venant de l’intérieur même du Mali : les membres du CNT, par exemple, cautionnent-ils tous ce coup d’État ? Aucun d’eux ne peut-il démissionner pour protester contre cette situation insupportable ? Le M5-RFP peut-il continuer à négocier son entrée au gouvernement ? La Cour suprême peut-elle continuer de se taire ? 

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Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 

 

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