L’INFREQUENTABLE ASSADEK BALANCE

assadek

Retranscription de la vidéo :

Elijah De Bla : Comment se passe actuellement l’enseignement au Mali accusé de tous les maux ?

Assadek : La situation n’est pas du tout reluisante. D’années en années, le niveau chute…C’est mondial mais au Mali c’est dramatique. D’années en années, la corruption est entrée en force sur l’espace universitaire et depuis la maternelle d’ailleurs. Même au doctorat. J’ai assisté à une soutenance, l’enseignant, pour soutenir son étudiante lui dit « ah elle ne dort même pas », un professeur marié qui dit que son étudiante ne dort, il faut se poser des questions !

Elijah De Bla : Mais au quotidien, quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre fonction d’enseignant ?

Assadek : Comme vous le voyez, ma mobilité est très réduite, j’ai eu la poliomyélite  à l’âge de deux ans, d’années en années mon handicap s’alourdit. Pour me déplacer, j’utilise mon fauteuil roulant et c’est un défi. Pour aller aux toilettes par exemple, c’est un défi, pour aller à l’amphithéâtre c’est un défi. Je relève des défis chaque jour mais Dieu merci. J’ai un défaut, c’est que je suis intraitable comme toi Elijah, infréquentable disons;  donc ce n’est pas facile. Ma carrière,  c’est de l’immobilisme et depuis 1987 je suis au même poste.

EDB : Pour parler de ta mobilité, comment apporter des solutions pour t’aider à relever les défis de tous les jours ? Comment pouvons-nous t’aider toi Assadek ?

Assadek : Depuis 2006, je demande chaque année à mon département de tutelle de l’aide mais cela reste sans suite. J’ai un problème de santé, si mon département de tutelle pouvait me détacher du domaine de l’enseignement…J’aimerais par exemple être conseiller culturel à Paris. De la bas, je pourrais aider le Mali et faire mes recherches. Il y a des structures qui permettent de mieux intégrer les personnes handicapées et je pourrais même dans le cadre de la résolution du problème du Nord Mali, être une solution. De façon pressante, c’est ce que je veux. Cela fait 28 ans que j’enseigne, donc je suis fatigué.

EDB : Quels sont tes rapports avec les étudiants à qui tu as enseigné et qui sont aujourd’hui dans l’administration, à des postes hauts placés ?

Assadek : Je garde de bons rapports. Je suis communiquant, ils ne me reprochent rien quant à la qualité des cours, mais je suis trop rigoureux par rapport à leur évaluation donc il y a un contraste didactique. Je ne suis pas fier de dire que beaucoup ne passent pas en classe supérieur. Lorsque l’on donne du mauvais bois à un menuisier, il ne peut pas faire de beaux meubles. Parmi ceux qui réussissent, lorsque je les rencontre ils me saluent quand même et ils sont fiers de dire que j’étais leur professeur. De ce côté il n’y a pas de problème, ils oublient même parfois que je suis handicapé.

EDB : Cela est important

A : Oui, car lorsque l’on est handicapé, on est obligé, pour s’imposer, de faire trois fois plus qu’un valide. Cela afin d’être accepté.

Concernant mon orientation après le baccalauréat, j’étais le premier au niveau national mais ma bourse a été détournée et on m’a orienté à l’école normale supérieure sans tenir compte de mon handicap. Je n’ai pas protesté, j’ai suivi mes quatres années et suis sorti major de ma promotion. J’ai eu par la suite mon concours. C’est au moment du concours qu’ils se sont aperçu que j’étais inapte à l’enseignement. Ils se sont dit « mais comment on va t’utiliser ? ». Je leur ai rétorqué qu’il ne fallait pas m’orienter à l’école normale supérieure. Ils m’ont demandé « mais pourquoi tu n’as pas demandé ton transfert ? » Je leur ai dit qu’ils savaient que j’étais handicapé mais ils m’y ont envoyé. C’était pour me lancer un défi.

EDB : Tu es quelqu’un qui communique beaucoup, on s’est rencontré par le biais des réseaux sociaux il y a une année et je sais que tu as des positions par rapport à la gestion du pays, la crise du nord ou par rapport à nos hommes politiques. Aujourd’hui quelle est ton analyse de la situation sécuritaire, socio-politique du Mali depuis l’arrivée du nouveau pouvoir ?

Assadek : Le nouveau pouvoir c’est IBK, IBK c’est un ancien ministre, il a eu à gérer le dossier du Nord avec Alpha Oumar Konaré, avec ATT, c’est un dossier qu’il connaît normalement. D’ailleurs les gens ont voté pour lui en pensant qu’IBK allait libérer Kidal d’un seul coup. Moi je n’ai pas voté pour lui mais mon réseau de personnes handicapées a voté pour lui mais c’est la déception totale. Le problème du Nord date de plus d’un quart de  siècle. Cela a commencé par la révolte d’un jeune homme qui avait agressé un commis car celui-ci lui avait dit que s’il ne payait pas d’impôt, il allait lui faire ce que les colons avaient fait à son père. Lui n’a pas cherché à comprendre et l’a tué avec son sabre. C’est à partir de là que Modibo a envoyé des soldats pour aller chercher le jeune homme. C’était durant la période des trois premières années du Mali indépendant. La révolte fut matée. En même temps dans la région de Ségou une révolte éclata dans un village bambara qui fut décimé. On ne peut donc pas parler d’un problème de couleur de peau. Il s’agit juste d’un jeune état qui voulait asseoir son autorité. A l’époque l’Algérie jouait le franc jeu avec le Mali, les personnes qui étaient à l’origine de la révolte ont été libéré par le Président de l’époque de l’Algérie et sont venus à Bamako où ils y ont purgé leur peine jusqu’en 1973, l’année de la sècheresse. Durant cette sécheresse, tous les dons ont été détournés au Nord, il y a eu de nombreux morts et certains survivants sont partis en Lybie. Ce sont les enfants de ces survivants et les enfants des orphelins de 1963 qui sont revenus (comme Iyad) pour déstabiliser le régime de Moussa Traoré. A l’époque, la rébellion était en contact avec le mouvement démocrate. Alpha même avait effectué un voyage au Nord, ils étaient en contact. Ils ont déstabilisé le régime mais par la suite ce dernier a eu à faire face au même problème qu’il a fallu gérer. Il y a eu le pacte national, de l’argent, des milliards ont été injectés, mais malheureusement avec la mauvaise gestion, une bonne partie de ces milliards sont restés à Bamako avec la complicité de certains Touaregs et des parrains de Bamako. Des délinquants financiers du nord et du sud se sont entendus autour du partage du gâteau. Il y a donc eu de la mauvaise gouvernance. On nous a fait croire à une démocratie de façade. ATT malheureusement a joué le double jeu avec les narcotrafiquants, il partageait même l’argent des rançons des otages avec Iyad et autres. Il a doublé Iyad et c’est ainsi que celui-ci a profité de la déstabilisation liée à la mort de Kadhafi pour recruter des djihadistes. Avant le MNLA, c’était le Mouvement National de l’Azawad. La plupart de ces jeunes sont des neveux à moi. Je l’assume, ils me connaissent tous. Ils faisaient leur réunion sur la place en faisant croire qu’il s’agissait d’une association de jeunes à Bamako. ATT leur a même donné un récépissé pour leur association « le Mouvement National de l’Azawad ». ATT s’est vanté sur RFI d’avoir donné ce récépissé, je vais vous retrouver les liens. Malheureusement pour lui, il a sauté, d’ailleurs chaque fois qu’il y a une rébellion, c’est le régime qui saute.  IBK devrait le savoir et ne pas reproduire les mêmes erreurs. Cela fait 9 mois et les négociations n’ont pas encore commencé. La puissance du MNLA est purement médiatique. J’avais écrit un article à ce sujet qui a été repris par un blanc pour faire une pétition.  J’ai dénoncé les faits en 2012 mais on m’a pris pour un fou. Je parlais de deal entre le MNLA et la France et c’est purement géostratégique. IBK au lieu de négocier avec le MNLA devait aller directement aller voir Hollande et mettre cartes sur table : « qu’est ce que tu veux ? Qu’est e que le MNLA t’a proposé? Il devrait proposer plus. On l’a prévenu que l’ONU était venu à l’assemblée nationale pour dire au Mali que si nous ne négocions pas, on ne pourra pas battre militairement le MNLA. Mara a été piégé. Pourtant sa mère est remariée à un Touareg, il a une demi-sœur qui est tamashek. Il connait bien le dossier, je ne sais pas comment il s’est fait piéger. Son père est chrétien, sa mère musulmane donc il est issu du melting pot. J’ai apprécié le fait qu’il soit parti, mais je ne savais pas qu’on lui avait dit de ne pas y aller ; c’est après que je l’ai su.

EDB : Mais a-t-il reconnu le fait qu’on lui a dit de ne pas y aller ?

Assadek : Il continue de nier, voilà le problème. De plus, j’entends des termes qui ne sont pas élogieux vis-à-vis de lui. Les gens disent que la gestion de l’Etat est basée sur le mensonge. Lui et ses ministres ne font que se contredire.

EDB : Il a donc un problème de communication?

 Assadek: En effet, s’ils avaient pris Elijah comme communiquant ils n’auraient pas eu ce problème (rires)

EDB : Elijah est infréquentable. Eu égard à tout ce que tu viens de dire, comment analyses-tu la gestion de l’Etat de la part du Président de la République ?

Assadek : Je ne suis pas surpris de sa gestion parce qu’on avait prévenu les maliens. C’est quelqu’un qui aime trop le luxe et ne fait pas attention aux lignes budgétaires. Ses ministres ne le contredisent pas malheureusement. Le travail doit être collégial, les décisions ne doivent pas être prises sans l’accord des ministres pour dire « ce n’est pas inscrit dans la ligne budgétaire ». Au contraire ces ministres lui font croire qu’il est sur le bon chemin.  Je crois que les français ont fait exprès de favoriser son élection.

EDB : Tu penses que l’élection d’IBK a été favorisée par la France ?

Assadek : Mais c’est la France qui a conçu les cartes Nina, qui a transporté les urnes. La MINUSMA c’est eux, la collaboration avec le ministère de l’intérieur qui était pour IBK aussi. Tout a été fait pour favoriser IBK. Certains bureaux de vote favorables à Soumaila Cissé en France n’étaient pas doté de cartes Nina.

EDB : Je suis bien placé pour en parler, j’ai couvert les élections à Paris notamment et ce sont des choses qui ont été dites mais dont nous n’avons pas la preuve. Mais des personnes nous ont dit des choses que tu viens de dénoncer : des endroits favorables à Soumaila ou à des autres candidats n’étaient pas dotés de bureaux de vote.

Assadek : Honnêtement, je suis comme toi, on a entendu dire et tu as bien fait d’attirer mon attention. Sache que j’ai analysé la distribution des cartes. Dans certains villages, il n’y avait que trois cartes.

EDB : à Paris nous avions le même problème. Dans certains foyers il y avait des milliers de gens mais seules quelques cartes ont été distribuées.

Assadek : Malgré tout les maliens ont laissé passer, personne n’a crié au scandale. Même Soumaila a laissé passer, tout le monde a laissé passer pour qu’au moins Kidal soit libérée. En effet, pour les gens, il était le seul à pouvoir libérer Kidal.

EDB : Penses-tu qu’avec le changement de gouvernement, c’est-à-dire avec celui de Moussa Mara, on peut avoir confiance pour redresser le Mali et libérer Kidal ? Mais aussi s’atteler à l’emploi des jeunes, la redynamisation de l’enseignement. Penses-tu qu’on peut faire confiance à ces deux personnes pour nous guider ?

Assadek : Je suis un révolutionnaire et un communiste. Je suis pour le changement par la révolution parce que je ne crois pas du tout aux hommes politiques qui nous gèrent. Mais le peuple est à l’image de ceux qui nous gèrent. On est obligé d’être réaliste. IBK a été élu pour cinq ans, s’il trouve qu’il peut travailler avec Moussa Mara, qu’on les laisse continuer ! Un gouvernement d’union nationale n’est pas une solution pour moi. On a vu à quoi nous a mené le consensus. J’ai peur du consensus. IBK a été élu pour cinq ans, il faut qu’il s’assume. Il ne doit pas faire porter le chapeau à un ministre de la défense ; l’ordre a bel et bien été donné depuis Koulouba. Ce sont des rumeurs à vérifier mais il parait que lorsque notre armée a libéré le gouvernorat, dans la salle de conseil des ministres, IBK et ses ministres jubilaient. C’est quelques heures après, lorsqu’on leur a dit que la situation avait changé qu’il les a laissé.

EDB : Tu es un fin observateur de la situation politique du Mali et un touareg vivant au sud, pouvons-nous faire confiance à l’exécutif malien aujourd’hui matérialisé par Ibrahim Boubacar Keita et Moussa Mara le premier ministre ?

Assadek : Ne pas leur faire confiance reviendrait à les chasser ? Mais si on les chasse, quelle sera l’alternative ?  Ce n’est pas un peuple qui vote pour des corrompus qui fera le changement. Un peuple qui vote pour des corrompus est corrompu. Géo-stratégiquement, nous sommes à genoux, nous sommes obligés de jouer la carte de la tutelle. Nous sommes sous tutelle aujourd’hui. IBK est obligé de s’asseoir sur son orgueil et d’écouter la communauté internationale. Je ne suis pas pour, mais il n’y a pas d’autre alternative à moins d’un cataclysme. Comme le cataclysme qui a remis à jour Sodome et Gomorrhe.

EDB : Dieu nous en préserve.

Assadek : Ce n’est pas avec les maliens d’aujourd’hui qu’on peut faire la révolution. Pour gagner une élection au Mali il faut d’abord savoir gérer l’Etat et gérer un Etat ici on sait que c’est piocher dans le trésor…

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