L’image de l’Afrique dans les médias occidentaux: un Disneyland humain

L’association Feed a child a réalisé en 2015 un spot télévisé destiné à récolter des fonds contre la malnutrition. On y voit un enfant réduit à l’état d’animal domestique nourrit par une femme blanche. Cette publicité reprend beaucoup de stéréotypes et de clichés (le noir : animal, misérable, affamé et dépendant du blanc) véhiculés à la fin du 19e siècle. Mais cette publicité a bel et bien été diffusée en 2015.

La publicité dans le passé et encore aujourd’hui est un moyen de communication puissant, c’est un reflet de la société. Ces publicités emprunts de racisme ne sont que le miroir et le fruit de leurs environnements. Les premières datent de la fin du 19e siècle, période où l’occident vient tout juste d’abolir l’esclavage et entame la colonisation. Il n’est pas étonnant qu’après avoir réduit une partie de la population noire à la chosification, la déshumanisation et l’humiliation constante, les hommes dit « civilisés » s’apprêtent à perpétuer leur projet inhumain à travers la colonisation. Au même moment Gobineau publie son essai intitulé « l’inégalité des races humaines » où il établie une classification de l’humanité. Bien évidemment l’homme noir se trouve tout en bas, il est dépeint comme un animal, avec un comportement bestial, presque dépourvue d’intelligence, vorace, et soumis à ses sentiments. L’homme blanc apparaît tout en haut de l’échelle humaine, il détient une immense supériorité vis-à-vis des autres groupes, avant tout concernant l’intelligence. Il a une structure physique bien plus vigoureuse, un amour et un respect pour la vie dont les deux  autres races sont dépourvues.

le livre de Joseph Arthur de Gobineau
le livre de Joseph Arthur de Gobineau

C’est donc sur ce postulat que les publicités de l’époque étaient conçues et elles ont la vie dure. La communication à travers les affiches publicitaires est la meilleure propagande. Elle permet de manipuler l’opinion publique, et aussi les victimes. Car le noir qui s’est toujours vu réduit à l’état d’animal finit par penser que c’est ce qu’il est. Tout comme aujourd’hui où les Africains et l’Afrique dans les médias sont toujours associés à des choses tragiques (guerre, famine, épidémie, gang, meurtres…), à une mauvaise gouvernance (corruption, dictature…) ou divertissante (musique, la danse, le sport…). Inconsciemment elle se ferme et se limite à ce qui lui est montré dans les médias par les occidentaux. Et par ricochet le reste du monde nous rattache à cela.

Madonna au Malawi
Madonna au Malawi

Pour mieux comprendre ce processus ou plutôt cette « guerre » car depuis toujours, l’image que les Européens projettent d’eux même et des autres oriente la marche du monde. Celui qui contrôle l’information est le dominant, donc eux. Aujourd’hui s’ajoute à la théorie d’infériorité physique et intellectuelle du noir, le portrait d’un peuple incapable de se prendre en main et d’entreprendre des choses positives. Le traitement et la diffusion d’informations concernant l’Afrique doit tout simplement répondre à « l’agenda setting » (ndlr : ordre du jour établi, modèle défini par des chercheurs américains  en 1972).  L’agenda setting de l’Afrique devra répondre à différents critères. Tout d’abord rentrer dans la case qui lui est dédiée, c’est-à-dire le misérabilisme, correspondre à leur ordre du jour. Et bien sûr, rien de positif n’est l’œuvre des Africains seuls. Autrement dit « l’afro-pessimisme ».

Programme d'aide alimentaire des NU
Programme d’aide alimentaire des NU

Les médias concentrent alors l’attention sur tel ou tel sujet et omettent délibérément d’autres. Ainsi ils influencent l’opinion publique, ce modèle nous rappelle par ailleurs la puissance des médias. En 1990 une enseignante américaine de l’école de journalisme du Wisconsin demande à ses élèves majoritairement blancs de lui d’écrire l’Afrique, voici leurs réponses : « l’Afrique est recouverte de jungle, de grandes réserves animalières, pauvre, touchée par la famine, des guerres partout ». Et voici leurs opinions concernant les africains : « des sidéens, brutaux, sauvages, arriérés, tribaux, primitifs et noirs. » Et cela n’a pas changé même s’il est dur de trouver des chiffres et des études sur ce sujet. L’agenda setting, la pensée coloniale et l’effet domino (partage des mêmes informations) a transformé les occidentaux en “consommateurs passifs de la chose africaine”.

Les conséquences sont désastreuses et tout autant néfastes. Les dernières générations ont été marquées par les images d’enfant Africains souffrant de la faim véhiculées dans les médias pendant les années 90 et le sentiment de honte que cela provoquait. La situation s’améliore en Afrique. Mais les médias occidentaux, ainsi que l’opinion publique occidentale ne veulent pas abandonner cette image misérabiliste. Ils en arrivent même à fabriquer ces situations. Depuis quelques années un procédé populaire, permet à la société civile de contribuer aussi à l’humiliation du peuple africain c’est le « volunturism ». La contraction de deux termes anglais signifiant volontariat et tourisme. Les occidentaux ont fait de ce qu’ils appellent le « tourisme humanitaire /solidaire » une opportunité pour se faire de l’argent sur le dos en autre des Africains. Les pays pauvres sont devenus le « Disneyland » des petits Européens, ou la forme moderne des zoos humains créés par leurs aïeuls au début du siècle. C’est l’occasion de rappeler aux Africains et aux autres populations du « tiers monde » leur suprématie sur eux. En effet il est permis à une personne sans qualification d’aller jouer au médecin ou au professeur etc…

Les séjours humanitaires en Afrique
Les séjours humanitaires en Afrique

Quel est le but de telles démarches si ce n’est d’humilier les Africains ? Si l’objectif est d’aider l’Afrique de façon pérenne ; une simple explication présentant les différents facteurs liés au problème permettrait une réelle prise de conscience ainsi que la mise en place d’actions. L’actualité africaine est rarement analysée de façon concrète. Elle est souvent dépourvue d’analyse scientifique, économique, culturelle ou autre. Et elle est présentée comme une fatalité, hors des contextes permettant de la comprendre. Car les causes des maux dont souffre l’Afrique sont souvent liées aux actions des Européens.

Quelles sont les actions qui ont été menées par les Africains ? Au niveau étatique quelques initiatives ont été mises en place. En décembre 2015 lors du forum des médias à Marrakech une série de propositions ont été faites  pour améliorer l’image du continent. Dans le passé des initiatives ont été aussi organisées (en 1997 l’UNSIA établie une stratégie de communication visant a donné une image équilibrée et réaliste de l’Afrique ; en 2002 à Libreville un colloque s’est tenu pour analyser l’image de l’Afrique tant sur le continent qu’en occident) mais sans grand succès.

Un laboratoire de recherche pharmaceutique à Malabo
Un laboratoire de recherche pharmaceutique à Malabo

En revanche la société civile se mobilise beaucoup. La multiplication des plateformes panafricaines ou de voyages en Afrique contribuent lentement mais sûrement à rééquilibrer la balance.

Sisi Adouni,

stagiaire

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