Le passeport malien : un bien aussi invisible que le porc à la Mecque

Depuis que certaines administrations ont découvert la manne financière liée à l’industrie illégale de la délivrance du passeport, un business honteux s’est greffé autour de ce document si prisé. En effet chaque malien vivant au Mali et hors du Mali possède ou cherche à posséder un passeport. Ceux vivant au Mali cherchent à s’en aller et les autres hors du Mali cherchent à rentrer pour les vacances et leurs différentes affaires. Tout ce beau monde est tributaire du sésame qu’est le passeport.
Un peu partout en Afrique de l’ouest les longs délais d’obtention d’un passeport sont légion mais le cas du Mali nous interpelle à plus d’un titre. Tout d’abord rien ne semble fonctionner correctement dans ce pays depuis Janvier 2012  mais il saute aux yeux que l’état ne fait aucun effort pour éviter ce qui peut l’être. Il est de notoriété publique que le malien a la culture de l’émigration. Il est de notoriété publique que l’apport du malien émigré dans l’économie nationale formelle et informelle est plus important que l’aide publique au développement. Ces réalités auraient dû encourager les autorités à mettre en place une discrimination positive en faveur de ces maliens habitant loin du pays concernant les délais de délivrance du passeport. Il s’agit tout simplement de bon sens mais il faut croire que les maliens n’en ont pas surtout ceux qui décident. Aucune disposition administrative n’a été mise en place pour faciliter les démarches de délivrance du passeport malien dans les représentations diplomatiques et consulaires du Mali à travers le monde. De longs délais exorbitants nous sommes passés à une pénurie de passeport malien. Derrière cette pénurie qui semble être un simple mot, il y a des familles entières qui voient leurs vies basculer du jour au lendemain. Des maliens rentrés au Mali en vacances se retrouvent bloqués au Mali car ils ne peuvent pas renouveler leurs passeports afin de retourner dans leur pays de résidence. Certaines personnes renoncent aux vacances pour ces mêmes raisons. Imaginons ceux qui devraient être évacués d’urgence vers d’autres pays pour des raisons de santé.
Dans cet imbroglio administratif c’est le “sauve qui peut”, chacun imagine la solution pour écourter le délai de délivrance du fameux document. C’est ainsi que pour un malien vivant en France ou en Côte d’Ivoire ,il est plus rapide de faire sa demande de passeport directement à Bamako en payant 50 000Fr CFA supplémentaire que d’en faire la demande au consulat de son pays de résidence. L’histoire a démontré que cette voie parallèle fonctionne sans faille depuis au moins deux décennies. Pour la même demande de document à la même administration il y a du deux poids deux mesures connu de tous depuis toujours. De façon systématique on a créé les conditions nécessaires artificielles pour ralentir le processus de délivrance et ainsi en profiter sur le dos du malien.
Aujourd’hui, lorsque vous sollicitez un passeport malien, vous aurez le sentiment que l’administration malienne lance une commande au bûcheron pour abattre l’arbre dont le tronc servira à produire le papier nécessaire à la confection technique du passeport. Ensuite, il passe commande auprès du fabricant d’encre etc…. C’est un parcours que même le combattant n’aura pas envie de faire tellement il est truffé d’irrégularités et de surprises les unes plus honteuses que les autres. Il est aussi banal d’attendre six mois pour un passeport malien que d’apprendre que votre voisin l’a obtenu en moins d’un mois. Il suffit de connaître quelqu’un qui connaît le moindre petit agent de police ou de gendarmerie pour donner un coup d’accélérateur au processus.
Aujourd’hui, il n’est plus question de long délai, il s’agit d’une pénurie pure et simple de passeport malien. C’est la “connerie” de trop des autorités maliennes incapables d’apporter une réponse aux problèmes les moins coûteux et les moins demandeurs d’investissement.

Pour mieux comprendre le calvaire dans lequel vivent les maliens ayant recours au fameux passeport, nous avons mené une investigation auprès des administrations de quelques pays d’Afrique de l’ouest. Pour un ivoirien, il faut compter un délai de cinq semaines pour obtenir un passeport si la demande est faite au consulat de Côte d’Ivoire à Paris. Un togolais devra attendre un minimum de trois mois en moyenne pour mettre la main sur le fameux document. Le burkinabé, s’il fait la demande au consulat à l’extérieur du pays devra patienter deux mois fermes. S’il réside au Burkina Faso il devra observer un délai raisonnable d’un petit mois. Les sénégalais de la diaspora française font leurs demandes en ligne pour obtenir un rendez vous puis une fois le dépôt fait lors de ce rendez vous, observent un délai de 72 heures. Dans le cas sénégalais c’est l’obtention d’un rendez qui prend le plus de temps : de deux à trois mois en moyenne.

En comparant ces délais de délivrance de ces pays avec ceux du Mali on se rend compte que le Mali est à la traîne non seulement pour les délais mais c’est le seul qui connait une pénurie actuellement.
Nous n’avons pas réussi à joindre les autorités consulaires maliennes pour recueillir leurs explications au sujet de cette exception malienne. Quoiqu’il en soit, un passeport qu’il soit américain, chinois ou français est fabriqué dans une imprimerie. A notre connaissance il n’y a pas en ce moment une raréfaction du papier nécessaire à la fabrique du passeport. Il n y a pas une croissance démesurée de demandeurs de passeport malien. Une fois écartées ces hypothèses, il nous reste les hommes en charge de la question : le ministère de l’intérieur, les ambassades et consulats et le président de la république qui sont les seuls à rendre compte et a décider.

D’ici le rétablissement d’une normalité, le nombre de victimes collatérales ne cesse de croître dans l’indifférence totale des autorités. Cette raréfaction peut être expliquée par une forte demande du marcher noir émanant des maliens qui payent un certain prix comme nous l’avons précisé plus haut mais aussi par des non maliens candidats à l’immigration en Europe.  En créant le déficit, les prix flambent au marché noir et une minorité s’enrichit. Certains passeports se monnaient jusqu’à 1000 € à ces africains prêts à tout pour quitter l’Afrique. Ce prix est justifié par le fait que tout détenteur du passeport malien ne paie pas de visa pour entrer en Algérie et au Maroc. Ces deux pays sont des passages privilégiés entre l’Afrique noire et l’Europe.
L’histoire du passeport malien pourrait servir de scénario à un film tout entier.

Elijah de Bla

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