Le Mali : Entre vide Juridique et Pragmatisme Politique

Souleymane DIARRA

Le Mali : Entre vide Juridique et Pragmatisme Politique

Je voudrais, avec la permission de mes collègues constitutionalistes apporter ma modeste contribution dans l’actualité brulante du Pays. Je précise d’ores et déjà que je ne suis pas un publiciste encore moins un constitutionaliste.

L’histoire des démocraties nous enseigne que chaque peuple a vécu une crise sociale. Mais le règlement de toute crise dans une société démocratique ne s’inscrit pas forcement dans un cadre légal ou juridique pur.

En effet, en temps de normalité politique ou institutionnelle, la suprématie constitutionnelle est assurée par le juge constitutionnel. En revanche, pendant les périodes de crise, la primauté de la constitution pourra être remise en cause ou peu protégée. La remise en cause de l’ordre constitutionnel engendre souvent la reconfiguration du système politique avec des incidences sur le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire. Le sujet de la gestion des crises politiques et institutionnelles demeure préoccupant dans les États africains en transition démocratique. D’où la nécessité de ce que les spécialistes appellent les « conventions de sortie crise » ou « convention constitutionnelle ».

Les conventions de sortie de crise, dans la majorité des pays d’Afrique francophones, ont pour finalité un partage du pouvoir d’État entre les parties à la convention et leurs partis politiques. Elles entrainent très souvent une remise en question des compétences du juge constitutionnel car modifiant par la même occasion le texte constitutionnel qui lui servait de fondement.

Pour rappel, en République de Côte d’Ivoire, d’octobre 2002 à avril 2005, ce sont successivement les accords politiques de Lomé, de Marcoussis, de Kléber, d’Accra, de Pretoria I et II et de Ouagadougou qui ont été conclus par les acteurs majeurs du conflit ivoirien.

Pour les pays qui ont connu un putsch militaire, on assiste au mieux des cas, non pas, à remise en cause de l’acte fondamental, mais à une complémentarité entre un acte juridique transitionnel et la Constitution.

C’est l’exemple du Burkina Faso où, après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, il a été adopté une Charte de la transition qui complète la Constitution du 2 juin 1991.

Nous pensons que le Mali est dans cette hypothèse depuis le coup d’Etat de mars 2012 contre le Président ATT. En clair nous sommes dans une situation « ni dans la constitution ni hors constitution ».

 

I-Accord-Cadre entre la CEDEAO et le CNDRE

A la suite des évènements du 22 mars 2012, le Président ATT a officiellement présente sa « démission » à la délégation de la CEDEAO. Cependant la junte dirigée par le capitaine Amadou Aya SANOGO détenait la réalité du pouvoir. En principe face à la vacance du pouvoir, c’est le président de l’Assemblée Nationale Dionkuda TRAORE qui devrait assurer l’intérim. C’est ce qui ressort de l’art 36 la constitution du 25 février 1992 : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée Nationale.

Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau Président a lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement. »

Cependant, tout le monde savait qu’il était pratiquement impossible de pouvoir organiser des élections crédibles et transparentes au bout de 40 jours. Ainsi, le 6 avril 2012, la CEDEAO représentée par Djibril Bassolé a conclu avec la junte représentée par le capitaine Amadou Aya Sanogo, un accord-cadre. Ce texte prévoyait d’abord que la Cour constitutionnelle constate la vacance et investisse pour l’intérim d’un an le président de l’Assemblée. Ensuite des mesures législatives d’accompagnement de la transition, notamment une loi d’amnistie générale au profit des membres du CNDRE furent prévues.

Alors, convenons-en : ni la transition, ni la période qui va au-delà des 40 jours d’intérim n’est pas prévue par notre constitution.

L’urgence et le nécessité imposait un schéma consensuel qui permettait de passer de l’intérim à la transition sans que le pays ne sombre dans le chaos.

En fin un « Premier Ministre plein pouvoir » a été désigné. Le plein pouvoir exige du président de la République qu’il délègue certaines de ses prérogatives au premier ministre et au gouvernement dirigé par ce dernier. Nous pensons que depuis cette date jusqu’à nos jours, nous ne sommes plus dans l’ordre constitutionnel stricto-sensu.

 

II-Prorogation du Mandat des Députés :

Pour rappel, les députés ont été élus la 1ère fois en 2013 pour un mandat de cinq ans. Ce mandat de durée fixe a expiré le 31 décembre 2018. Le gouvernement en bonne intelligence avec des parties politiques (opposition et majorité) décida de proroger le mandat des députés. Pour y parvenir, le gouvernement a sollicité et obtenu l’avis (N°2018-02/CCM du 12 octobre 2018) de la Cour constitutionnelle. Pour le gouvernement le contexte sécuritaire grave, ayant le « caractère de force majeur », ne permettait pas d’organiser un scrutin. Contrairement à leur jurisprudence antérieure, les sages de la Cour, dans leur avis, ont rappelé « la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée Nationale ». C’est dans ce contexte qu’est intervenue la loi organique n°2018-067 du 6 décembre 2018. Les mandats des députés à l’Assemblée Nationale ont été prorogés de 6 mois avec comme terme le 30 juin 2019.

A l’arrivée du terme des 6 mois, une seconde prorogation a été sollicitée. Sauf que pour cette deuxième prorogation, le gouvernement n’a pas jugé utile de solliciter l’avis de la cour constitutionnelle. Certainement pour lui, le 1er avis favorable, valait pour cette seconde prorogation. Feu Soumaila CISSE de l’opposition estimait que le gouvernement avait avancé un « argument politique bancal » Quoi qu’il en soit, il est légitime de s’interroger. Ces prorogations successives de mandats de nos députés « autorisées » par la Cour sont basées sur quels fondements ?

Au Mali, l’Assemblée Nationale est la seule chambre du parlement. D’après l’art 61 de la constitution, « les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel. ». Alors, là aussi, convenons-en, aucune disposition de la constitution actuelle ne prévoit la prorogation du mandat des députés au-delà du délai qu’elle a fixé.  Manifestement, la Cour ainsi que le gouvernement ont violé les dispositions de la constitution malienne.

En revanche on pouvait remarquer qu’il était très difficile voire impossible d’organiser des législatives sur l’ensemble du territoire national à cette époque. La preuve, le chef de file de l’opposition, durant sa campagne à Nyanfuké, a fait l’objet d’un rapt par les djihadistes.

En réalité et à l’actif de la Cour, s’il n’y avait pas eu une nouvelle prorogation, on serait tombé dans un régime d’exception. Alors, en l’absence d’une disposition qui traite expressément la question, la Cour constitutionnelle a interprété l’art 85 alinéa 2 de la Constitution comme étant un des fondements possibles de la prorogation du mandat législatif. En effet, cet article dispose que « elle(la Cour constitutionnelle) est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics. »

Elle qui avait estimé dans un 1er temps qu’aucune prorogation n’était possible dans le silence de la Constitution, la Cour a fait œuvre créatrice en se départissant de sa jurisprudence antérieure. Dans cette création, la Cour a estimé que le parlement doit jouer son rôle de « faiseur de loi » et de « contrôleur du pouvoir exécutif » en vue du respect de l’équilibre des pouvoirs.  C’est en cela qu’une prorogation s’avère être une solution moins problématique que la gouvernance par ordonnance ou la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du Président de la République.

III-Dissolution de la Cour constitutionnelle par le Président de la République :

Le samedi 11 juillet 2020 le Président de la République IBK dans une adresse à la nation a procédé à la dissolution de fait la Cour constitutionnelle en ces termes : « J’ai décidé d’abroger les décrets de nomination des membres restants de la Cour constitutionnelle et d’aller vers la mise en oeuvre des recommandations issues de la mission de la CEDEAO »

Le cours gracieux du président de la Cour constitutionnelle, adressé au président de la République démonte la légalité d’une telle posture. Cette démonstration est faite d’abord à travers l’article 91 de la Constitution qui dispose que : « la Cour constitutionnelle comprend neuf membres qui portent le titre le de Conseiller avec un mandat de sept ans renouvelables une fois. »

Ensuite l’art 13 de la loi organique de la Cour précise qu’« avant l’expiration de du mandat, il ne peut être mis fin à titre temporaire ou définitif aux fonctions de membre de la Cour constitutionnelle que dans les formes prévues pour leur nomination et après avis conforme de la Cour statuant à la majorité des 2/3 de ses membres. »

Malgré la solidité de ces arguments juridiques, le Président de la République est passé en force, la Cour a été entièrement remembré. Là aussi, la constitution a été violé, mais une « solution politique » a permis à Manassa DANIOKO et les autres conseillers de faire leurs bagages. Comme en 2012, la CEDEAO est passée par là à travers ses recommandations pour nous proposer un bricolage.

 

IV-La Reconnaissance de Assimi GOITA comme Président de la transition par la Cour constitutionnelle.

A la suite des évènements du 24 mai 2021, le Président de la transition M. Bah N’DAOU aurait démissionné. Face à la vacance de la présidence de la transition, le Directeur de Cabinet du Vice-président de la Transition saisit le la Cour constitutionnelle. La Cour bâtit ses motivations à travers une complémentarité entre un acte juridique transitionnel (la charte) et la Constitution.

La cour constitutionnelle part d’abord du postulat de l’article 7 de la Charte de la Transition :« le Président de la Transition est secondé par un Vice-président. Il est désigné dans les mêmes conditions que lui. »

Ensuite, elle s’appuie sur un de ses arguments classiques en visant l’art 85 alinéa 2 de la Constitution qui fait de la Cour constitutionnelle « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics. » A cet effet, les sages doivent s’assumer face à « la paralysie et le dysfonctionnement des organes de la Transition suite à la démission du Président de la Transition et la dissolution du Gouvernement. »

En conséquence, la Cour décide « qu’en raison de la vacance de la Présidence de la Transition, il y a lieu de dire que le Vice-président de la Transition assume les prérogatives, attributs et fonctions de Président de la Transition, Chef de l’Etat. »

Conclusion :

De tout ce qui précède, soyons réalistes et pragmatiques. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons sortir du juridisme pur et dur. Pour nous, la constitution de 1992 a cessé de s’appliquer véritablement depuis le coup d’Etat de 2012. Nous sommes plus ou moins dans une situation d’exception. Voilà la réalité. Maintenant, assumons-nous pleinement.

Et dans une situation d’exception comme l’a affirmé un magistrat, « on fait ce qui est nécessaire à préserver l’essentiel pour pouvoir revenir à la normalité ». Et c’est que la Cour constitutionnelle a fait depuis 2012 pour nous sortir des raisonnements juridiques plus ou moins alambiqués mais tout en préservant l’essentiel face au péril du moment.

Tout cela ne saurait être possible sans la « caution » des acteurs politiques et des forces vives de la nation. C’est ce que mes collègues spécialistes appellent « convention constitutionnelle ». Il s’agit d’une pratique implicite ou explicite, non -écrite mais connue, acceptée et suivie par les acteurs politiques d’un état.

Nous sommes dans la transition depuis 2012. Et notre erreur a été de croire que nous sommes sortis de cette période transitoire.

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Dr Souleymane DIARRA

Maitre-Assistant à la Fac Droit Privé.

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