La tontine, outil informel pour la mise en place de projets réels

Mobilisation rapide de fonds pour des investissements dans les cérémonies familiales, mobilisation de capitaux plus importants pour la réalisation de projets personnels, pérennisation des liens sociaux, quelle femme ne connaît pas les “tontines” ?
La tontine est un modèle d’épargne historique utilisé par les femmes en Afrique. Côté Europe, imaginée en 1653 par le Cardinal Mazarin, Lorenzo Tonti, cette nouvelle formule d’épargne collective sous la forme d’association d’épargnants avait pour objectif de financer le budget du royaume mis à mal par différents conflits. Aujourd’hui, ce système d’épargne perdure et les femmes africaines résidant en France notamment l’utilisent dans le cadre de leurs projets.
La tontine est mise en place pour un cycle, renouvelable par tacite reconduction. Si les membres le décident, une tontine peut être illimitée ou elle peut s’arreter apres un tour complet. Soulignons que les cycles trop longs peuvent engendrer une certaines lassitude des membres avec le risque de démission ou des oublis de paiement. C’est un fait assez dommageable dans la mesure où seuls les apports des membres permettent de financer celle-ci. La tontine n’est pas bonifiée par des apports exterieurs aux membres.
Selon Abdoulaye Kane, sociologue sénégalais, l’apparition historique de tontines de femmes africaines en France correspondait à un besoin de sociabilité. Arrivées en France dans les années 1970 pour rejoindre leurs époux, certaines femmes supportaient parfois mal l’inexistence quasi-générale de rapports sociaux. Elles restaient souvent seules à la maison, en attendant le retour de leur mari. La barrière de la langue et de la culture ajoutant aussi un frein. A travers les tontines, les femmes se rencontrent et échangent. Les tontines apparaissent comme des cadres de socialisation pour les femmes qui les utilisent pour s’adapter à leur nouvel environnement. Pour les jeunes de la « deuxième génération », la situation n’est pas la même au niveau du sentiment d’exclusion. Pour elles il s’agit là d’une transmission de “tradition féminine africaine”. Ces rendez-vous mensuels sont une occasion de se retrouver entre femmes africaines et de développer par la même occasion pour certaines leur petit commerce (on y retrouve en effet des vêtements ou autres encens a à vendre). Les tontines sont donc en France un moment 100% féminin bien distinct de la sphère masculine. Ceux-ci organisent de leur côté des « caisses communautaires villageoises » destinées à participer au développement des villages.
Socialisation mais pas que : la pratique des tontines est étroitement liée aux dons et contre-dons occasionnés par les cérémonies telles que les baptêmes ou mariages. Elles sont le seul moyen de rassembler les sommes considérables nécessaires à la satisfaction des obligations de ces évènements d’autant que nos mères ou sœurs africaines risqueraient une certaine humiliation si elles ne satisfaisaient pas à l’obligation de donner, rendre et recevoir. On peut y voir là un aspect contraignant et certaines femmes en sortent après avoir marié leur filles par exemple.
Les tontines ont également un rôle économique et financier. Il s’agit d’utiliser des fonds pour un investissement personnel. Certaines femmes africaines vivant en France n’ont pas forcément accès aux organismes de crédits bancaires. Dans le cadre de l’acquisition d’un terrain ou la construction d’une résidence au pays par exemple, la tontine devient un formidable outil d’épargne qui permet d’atteindre les objectifs. Ce dernier point met en lumière l’indépendance financière que permet ce modèle d’épargne. Indépendance vis à vis du conjoint sans qui les femmes peuvent mettre en place des projets mais aussi indépendance vis à vis des banques et de leur taux d’emprunts pouvant être assez lourds. Néanmoins, il peut y avoir un effet pervers. Parfois, l’effort d’épargne est tellement important qu’une grosse partie de leur revenus sert aux tontines, obligeant certaines femmes à se “serrer la ceinture” en fin de mois. Nous pouvons parfois être loin des 33% du taux d’endettement maximum légal imposé par les banques !
Aujourd’hui, l’importance des tontines est telle qu’il faut tenir compte de ce phénomène dans l’analyse du développement économique des pays en développement. Sans parler des tontines locales, les tontines de femmes africaines vivant en France concourent dans une certaine mesure au développement des pays d’origine. Rappelons que les envois de fonds constituent une source importante de capitaux privés pour les pays en développement. En 2013, ils ont largement dépassé les investissements directs étrangers (IDE) vers les pays en développement (à l’exception de la Chine) et ont été trois fois plus élevés que l’aide publique au développement.

Selon la banque mondiale, en pourcentage du PIB, c’est au Lesotho, en Gambie, au Libéria, au Sénégal et au Cap-Vert que les envois de fonds des migrants ont le plus grand poids. En pourcentage des réserves de change, c’est au Soudan, au Sénégal, au Togo, au Mali et au Cap-Vert qu’ils sont le plus significatifs. Les transferts vers la région d’Afrique sub-saharienne ont atteint les 33 milliards de dollars en 2014 et devraient atteindre les 34 milliards de dollars en 2015.
La tontine est donc un outil informel pour la mise en place de projets réels.
Fatoumata Soukouna

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