La bonne gouvernance au Mali : obstacles et solutions pour l’établissement de la démocratie

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La bonne gouvernance au Mali : obstacles et solutions pour l’établissement de la démocratie

De la place de l’Indépendance, à Bamako, proviennent toujours les mêmes exclamations du peuple exhortant « Mali Koura », la soif des citoyens pour la démocratie n’étant toujours pas éteinte depuis le 5 juin, date à laquelle les contestations à l’égard du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta ont pris de l’ampleur dans le pays. En effet, si l’armée a renversé le président, elle n’a finalement pas rendu aux citoyens les droits qui sont les leurs, ni restauré l’État de droit, et la corruption institutionnelle persiste ; les colonels au pouvoir ont cherché à berner la population, mais les Maliens ont bien compris que la charte de la transition était une supercherie et que les organes qu’elle instituait tenaient de la mystification.

Les militaires se sont ainsi octroyé les postes les plus importants (la présidence et la vice-présidence de la République par exemple) ou ont rendu creuses certaines charges, notamment celles confiées à des civils comme le Premier ministre ; les élections, quant à elles, ont suscité un tel ressentiment à cause de leur organisation, désastreuse, que la Cour constitutionnelle a été saisie.

Cet art du travestissement démocratique et du détournement de la Constitution produit aujourd’hui, on le voit, un contre-modèle de gouvernance parvenu à son expression la plus achevée. Comment, alors, restaurer une bonne gouvernance nécessaire à l’établissement de la démocratie ? Nous allons voir, d’abord, quelles sont les nombreuses limites qui empêchent son expression (I), puis nous présenterons quelques-uns de ses principes qui garantissent la démocratie (II).

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L’obsession d’un pouvoir fort

Si, en apparence, les officiers maliens ont eu le souci de préserver la démocratie en renversant IBK, le régime qu’ils ont établi s’oppose à la bonne gouvernance, car la mainmise sur les institutions est irréfutable, au motif que seule compte la sûreté de l’État, et tant pis, pour cela, si la Constitution est sacrifiée.

La confiscation du pouvoir

Nous assistons à une confiscation du pouvoir par une oligarchie militaire. Rappelons en effet que l’armée détient les principaux organes de décision : la présidence de la République, la présidence du Conseil national de la transition et, surtout, la vice-présidence, dont l’étendue des prérogatives est telle qu’Assimi Goïta est, en réalité, le véritable homme fort du Mali. Il est donc pour le moment illusoire d’espérer une refondation de la démocratie alors que le caractère militaire de la transition se renforce au point d’être constitutionnalisé. Peu à peu, le régime se mue en « despotisme militaire éclairé » qui préfère écarter le peuple du pouvoir – c’est le constat facile qui ressort en comparant la situation politique actuelle et l’instauration de la démocratie en 1992. Car, pour justifier ce qui est un abus de pouvoir, l’armée avance l’argument de la sécurité, son domaine de prédilection.

Le prétexte sécuritaire

Réclamer la démocratie, la bonne gouvernance, des libertés et des droits dans une dictature militaire est vain, à plus forte raison au Mali, eu égard à l’impératif de la sécurité.

La junte devrait pourtant savoir que la démocratie ne se réduit pas à une belle formule telle que « la sécurité avant tout et à tout prix » : elle doit être également fondée sur la bonne gouvernance et sur le respect des droits et des libertés garantis par la Constitution. Mais, là aussi, se référer à la norme fondamentale est dérisoire.

Le renversement de l’ordre constitutionnel

Territoire des coups d’État militaires permanents, le Mali n’a connu que de brèves périodes de démocratie. La Constitution de 1a IIIe République fut mainte fois suspendue. La transition qui dirige actuellement le pays a ainsi produit une charte dont les dispositions en font un petit monstre juridique qui annule la norme fondamentale. De plus, alors même qu’elle aurait dû pérenniser la démocratie, la junte n’a pas organisé d’élections générales et tarde à remettre le pouvoir aux civils, comme elle s’y était engagée. Par exemple, le nouveau Conseil national de la transition est dirigé par un colonel – il était seul candidat au poste de président – et une partie de ses membres a été désignée par le vice-président du Mali, Assimi Goïta.

Finalement, le redressement de l’État et l’instauration d’une bonne gouvernance, principes avancés par le régime des colonels, se réduisent à des promesses qui n’engagent que les maliens les plus naïfs. Dans ces conditions, le renouvellement de la classe politique, le rétablissement de l’État de droit et de la démocratie malienne ne sont pas au rendez-vous des espoirs du peuple au regard de la militarisation de la transition.

Le renouvellement des hommes et des idées

L’analyse de l’histoire constitutionnelle nous laisse penser que les Maliens sont, pour une partie, suffisamment formés pour résoudre les crises ; les civils ont des ressources et des idées et le peuple souhaite avec ardeur que son avis soit pris en compte.

Un pouvoir exclusivement civil

Le peuple n’a plus confiance dans l’armée pour conduire les destinées du Mali. Sur les neuf présidents que se sont succédé, six sont sortis de ses rangs, et quelle évolution le pays a-t-il connue grâce à eux ? Désormais, les citoyens ne peuvent accorder leur confiance qu’aux civils, les seuls capables, par leur formation, à restaurer la bonne gouvernance, à appliquer les réformes administratives, sociales, économiques et judiciaires nécessaires, et à faire adopter une nouvelle Constitution.

Quelques principes

Le renouveau d’une démocratie malienne ne peut se traduire sans l’instauration de principes de bonne gouvernance : en premier lieu, l’accès des citoyens aux besoins de premières nécessités. De plus, la bonne gouvernance ne peut pas se concevoir avec la soumission de la démocratie, contrôlée par une oligarchie militaire, à l’impératif sécuritaire. Sinon, la corruption est implicitement légalisée et la justice perd son indépendance. Il faut enfin prendre au sérieux le bonheur du peuple et non le confort d’une élite. L’appel à créer une Cour correctionnelle jugeant les détournements des biens publics et composée de juristes et de citoyens peut bien paraître banal, celle-ci marquerait, symboliquement au moins, que le peuple est la priorité des dirigeants.

La participation du peuple

Les critiques radicales qui s’élèvent contre le système représentatif justifient elles aussi de refonder la démocratie malienne. L’idée d’une métamorphose démocratique ne peut se traduire sans la participation et la consultation des citoyens à la décision politique : la bonne gouvernance en dépend. En effet, la représentation ne saurait se réduire au système des partis politiques.

Il faut donc en finir avec les accords et les alliances de circonstance qui transforment la République en un cercle d’amis se faisant « bisous bisous ».

Ajoutons aussi le nécessaire retour de la confiance entre gouvernants et gouvernés, aujourd’hui perdue à cause du faible taux de participation aux élections.

Par ailleurs, si l’armée est bien la cause principale du séisme politique, la délégation des pouvoirs au sommet de l’État empêche toujours elle aussi le développement du pays. Par conséquent, le renouveau de la démocratie malienne dépend aussi du rôle qu’il faut accorder au peuple, à la fois référent du « système représentatif » et « contre-pouvoir structurel » aux abus. De même, la fin du parlementarisme, soumis à l’exécutif, est indispensable, car les gouvernés ne se reconnaissent plus dans leur Assemblée nationale, qui ne représente que ses propres intérêts.

Somme toute, le rétablissement de la bonne gouvernance ne dépend que des Maliens eux-mêmes, car eux seuls sont responsables de la situation qui perdure depuis l’indépendance.

Chercher ailleurs des coupables à l’enlisement du pays dans le chaos est une erreur. C’est en se remettant en question que les Maliens marqueront le point de départ de leur reconstruction.

Balla CISSÉ,
Docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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