Hérésie du système IBK : lettre ouverte de Sekhou Sidi Diawara au président de la république

Sekhou Sidi Diawara, anthropologue

Hérésie du système IBK : lettre ouverte de Sekhou Sidi Diawara au président de la république

Sekhou Sidi Diawara, anthropologue
Sekhou Sidi Diawara, anthropologue et auteur de quatre lettres ouvertes au président de la république du Mali

Excellence Monsieur le Président de la République,

Qu’il me soit permis, à l’entame de mes propos, de m’incliner devant la mémoire de tous nos martyrs, qu’ils soient Maliens ou étrangers, civils et militaires, tombés sur notre sol lors des attaques et attentats. Aussi distant du pays que je suis, je porte en mémoire le quotidien de mes frères et sœurs Maliens.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Anthropologue de formation que je suis, j’ai appris dans le milieu traditionnel Dogon que la parole appartient à tous, et qu’elle représente par conséquent une des valeurs humaines les mieux partagées. En parfaite symbiose avec cette tradition, j’ai décidé pour une énième fois, moi aussi simple citoyen de mon état, résidant actuellement à Belgrade pour la poursuite de mes études postuniversitaires, loin du pays et de son arène politique, de prendre la parole en espérant que sa vertu médicinale influencera positivement le regard que vous portez sur notre pays, le Mali.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Il m’est difficile, en tant qu’étudiant, de me taire sur des vérités qui révoltent, qui tordent et grondent les consciences. C’est pourquoi je me sens interpeller de toute conscience pour vous faire parvenir quelques lignes de mot qui traduisent et décrivent mes sentiments et l’état de la situation de ma chère patrie, qui me semble être au fond de l’abîme.
Comme tout étudiant à l’étranger, Excellence Monsieur le Président de la République, il m’aurait été facile d’ignorer et de prendre mes distances vis-à-vis de toutes ces réalités douloureuses et encombrantes qui envahissent mon pays, le Mali, pour me réserver et me concentrer sur mes seules études. Mais le cordon ombilical qui me lie à ma chère patrie est aussi fort que je ne peux passer une seconde sans avoir en mémoire la terre qui m’a vu naître et grandir.

À ce propos, acceptez et autorisez donc votre fils de s’entretenir avec vous dans un langage simple et dans le strict respect des valeurs qui sont si chères à notre pays, pour vous exprimer ses sentiments angoissés, ses inquiétudes alarmantes, sa peine intime et sa peur suprême pour son pays, tout en ayant l’espoir de croire que vous y accorderez une attention particulière. Car décidant de vous écrire à nouveau, certains de mes amis, à tort ou à raison, m’ont déconseillé de continuer de vous écrire. Selon eux, ce serait un gâchis, cette lettre ne serait lu ni par vous ni par votre entourage. Mais je m’acquitte tout de même de mon devoir de citoyen pour vous transmettre quelques mots.
Ainsi donc, Prenez ces mots, Votre Excellence, comme ceux venant d’un citoyen dont le cœur souffre et saigne pour tous ces massacres, ces maisons brûlées, ces greniers incendiés et pour toutes ces personnes déplacées qui se voient obliger d’abandonner leurs foyers à cause de ces incessants conflits intercommunautaires dont ils ignorent les causes;
Considérez-les comme le cri du cœur et la rage d’un citoyen qui a plus d’espoir et foi en le voyage de non retour de la Méditerranée qu’en toutes ces politiques et discours laconiques et trompeurs qui s’abattent depuis plus de cinq ans sur notre grande nation, où les désordres semblent succéder les normes et les lois ;

Comprenez-les comme l’expression d’un compatriote qui compatit et partage la douleur de tous ces milliers de jeunes qui finissent leur chemin au fond de la Méditerranée; pour ces milliers d’élèves et étudiants qui assistent passivement à la destruction de leur propre avenir par la fermeture des écoles ;
Acceptez-les comme ceux d’un jeune étudiant qui, à l’instar des millions de compatriotes, et pour des raisons républicaines, s’était démocratiquement opposé à votre élection à la tête du pays pour un second mandat ;
Enfin, méditez-les comme les plus sublimes vérités d’un fils de la nation qui ne peut se taire face à toutes ces conjonctures sociopolitiques, à toutes ces impasses cruelles et fractures sociales auxquelles fait face notre pays le Mali, où la frénésie de la cruauté et de la violence ont pris pas sur les plumes de la raison, du dialogue, de la tolérance, de l’humilité…

Excellence Monsieur le Président de la République,

Citoyen libre d’esprit et indépendant de toute coloration politique, je ne me soucie point de faire plaisir ni à vous ni à ceux qui s’attachent à vous, pour vous faire parvenir des mots élogieux, qui aggravent et contribuent davantage la myopie dont vous faites état de souffrance. C’est pourquoi, dans un langage franc teinté des vérités crues et thérapeutiques, il m’est d’une fierté sans équivoque et d’un devoir absolue en tant que citoyen, de vous identifier à la parole, de vous rappeler de ce que vous nous avez dit, de ce que vous nous avez promis, et de ce que le peuple attendait de vous.

Garant de la force publique et le pouvoir suprême de la nation que vous êtes, Monsieur le Président de la République, votre histoire elle-même est simple. Comme chaque crise offre l’occasion et l’opportunité aux braves hommes de se distinguer des autres, en 2013, vous avez été celui sur qui tout le regard de la nation était braqué, en tant que sauveur et l’homme providentiel. À ce titre, vous avez été une épaule sur laquelle étaient portés tous les espoirs, pour un retour aux fondamentaux de la politique, pour restaurer l’autorité de l’État, redorer le blason d’un Mali tant déchiré et humilié par plusieurs années d’échec politique, pour réconcilier les Maliens et redonner honneur et dignité à ceux-ci, d’où votre slogan de campagne « pour l’honneur du Mali et pour le bonheur des Maliens ».
L’espoir d’une vie meilleure, était ce à quoi s’entendait le peuple malien. Nous avons cru comprendre que vous alliez nous donner, nous peuple malien, les raisons d’espérer et d’avoir foi en notre avenir en refondant la nation sur de nouvelles bases faites de justice sociale, d’éthique citoyenne et républicaine. Une nouvelle République édifiée à partir des idées de lumières, de progrès et d’humanisme, dans laquelle homme et femme, jeune et vieux, paysan et éleveur, commerçant et homme politique, élève et étudiant, vivraient et cohabiteraient avec la plus grande symbiose. Réconcilier les cœurs et les esprits, rétablir une vraie fraternité entre les Maliens afin que chacun dans sa différence, puisse jouer harmonieusement sa partition dans la symphonie nationale, tels furent vos propos lors de votre investiture, le 04 septembre 2013.

Mais dans l’épreuve des faits, le temps semble nous conduire au désastre, nous avons perdu toute certitude fondamentale sur l’avenir du pays: deuil et obsèques rythment la vie de la nation ; les massacres de populations se succèdent de jour en jour ; rêves et espoirs déçus et avortés ; la cherté de la vie a atteint le sommet de son paroxysme ; le sang continue toujours et encore d’inonder le sol malien. Rares sont les moments de notre histoire où le fondement de notre pays s’est retrouvé autant ébranlé. Jamais nous n’avons été aussi bas qu’en ce moment.
En cinq ans de règne, trop de sang a coulé sur le sol malien, trop de destins fauchés par des attaques et attentats omniprésents, trop d’erreurs inavouées, trop de laxisme, trop d’attitudes orgueilleuses et comportements autoritaires, trop de projets et forums inutiles. Trop de discours envenimés, éloquents et vides de contenu; trop de long chantier du deuil et de mort pour notre armée. Bref ! Trop d’espoirs honteusement trahis.

Pourtant, vous avez eu toutes les occasions, le pouvoir et l’opportunité de vous hisser à la hauteur des ententes, des défis, des idéaux et valeurs qui fondent notre pays, le Mali. Mais hélas ! Les mots de campagne sont devenus des maux de tête pour les Maliens ; les promesses de la paix ont laissé place à la réalisation de la haine et de la peur.
Vous vous êtes lourdement trompés de combats et d’ennemis en ouvrant un champ de bataille illusoire, qui ne pouvait nullement vous conduire à la réalisation des intimes convictions des Maliens, des raisons pour lesquelles vous avez été choisi comme un leader au destin providentiel. Au lieu de vous attaquer au chômage, l’insécurité, la baisse du pouvoir d’achat, la corruption, vous vous êtes attaqués aux commerçants ambulants en déguerpissant leurs kiosques, en réprimant les marches pacifiques, en imposant un schéma de la philosophie qui prône et ne laisse place qu’à la pensée unique. Jamais il n’y a de place pour la pluralité, pour la diversité d’idées dans votre système de gouvernance.

tout ce ci est le résultat de l’échec de Votre premier mandat qui fut fertile et riche en événements sans événement : l’achat d’avion présidentiel dont les contours restent toujours flous ; la signature de l’accord de paix qui peine à se traduire sur le terrain et fournir des résultats escomptés ; la tenue de la conférence d’entente nationale dont les recommandations n’ont jamais connu un lendemain meilleur ; l’affaire du contrat d’armement et celle d’engrais frelaté teintées de corruption ; l’instabilité chronique du gouvernement marquée par un remaniement ministériel incessant qui a impacté tous les secteurs publics. Bref ! Votre premier mandat, au-delà d’être marqué par la personnalisation, la personnification et la patrimonialisation du pouvoir attentatoire à la démocratie, au-delà d’avoir bouleversé la cohésion et les grands équilibres ethnico- communautaires par des conflits violents, meurtriers, incendiaires, au-delà d’avoir divisé le peuple et d’avoir fait volé en éclats les formes de nos institutions traditionnelles, fût, selon le sociologue Daffé, une prédation pour les ressources de l’État.

Excellence Monsieur le Président de la République,
Comme fut le premier quinquennat, nous avons, à travers certains de vos comportements et ceux de certains de vos proches, impressions et prémisses d’un second mandat qui sera souillé d’erreurs, de questions mal gérées. Car, pour l’instant, aucune action, aucun acte qui s’apparente à la bonne gouvernance, qui donne espoir sur un lendemain meilleur n’est encore visible dans votre méthode de gouvernance. Et je ne trouve pas nécessaire ici, pauvre étudiant que je suis, de vous rappeler que pour un pays qui est confronté aux crises multidimensionnelles comme le nôtre, aucune bataille, aucune réalisation politique ne peut se faire sans une bonne gouvernance, sans l’unité du peuple, sans l’adhésion massive du peuple aux initiatives nationales, sans un maximum de rigueur dans les comportements, etc. Pour l’heure, aucune de vos politiques n’a enthousiasmé et n’a fait l’objet d’une adhésion massive de la part du peuple. En effet, la direction empruntée par vous ne me semble pas la meilleure pour conduire le pays vers une destination propice, d’où l’émergence des mouvements sociaux qui ont impacté et paralysé tous les secteurs publics. Partout s’élèvent les contestations ! Le pays est au bord du gouffre, l’école publique en souffre, l’économie nationale est asphyxiée, les caisses de l’État sont vides, les investisseurs et partenaires techniques hésitent à s’y installer, les projets de développement sont bloqués, etc. Vos visions et politiques ont tendance d’être infertiles pour l’émergence d’un Mali qui peine à se relever, à retrouver son équilibre social.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Du 04 décembre 2013 à nos jours, vous avez porté et continuez toujours de porter sur votre conscience le sang des Maliens, des femmes et enfants. Par vos seules erreurs et « carence » politiques qui ont contribué largement à l’impasse de la situation actuelle du pays, vous avez rendu des milliers d’enfants orphelins, des femmes veuves ; vous avez détruit des milliers de foyers ; handicapant toute une génération d’hommes et femmes ; vous avez brisé tant d’espoirs.

Insistant sur cette voie parsemée de déclarations illusoires, de politiques qui consistent à hypnotiser les problèmes au lieu de les résoudre, qui vous empêchent de sentir la profondeur de la souffrance et de la misère que vivent les Maliens, des politiques aux conséquences desquelles le sang des innocents est versé gratuitement, l’histoire avec grand H retiendra que votre passage à la tête du pays fut une mauvaise conscience pour la mémoire politique du Mali.

Avec le plus grand respect dû à votre haute fonction, et après vous avoir présenté mes excuses au cas où j’aurais commis quelques erreurs linguistiques dans le courant de cette adresse, je vous prie de me pardonner et de recevoir, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments profondément patriotes et républicains.

Belgrade, le 28 Mars 2019
Sekhou Sidi Diawara, anthropologue de formation, étudiant à la faculté de sciences politiques de Belgrade

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