Décoloniser les références historiques en Afrique, il est temps

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Décoloniser les références historiques en Afrique, il est temps

Avec un peu de chance, le projet de décoloniser le présent de l’Afrique fera son chemin. Une statue de Gandhi a récemment été déplacée de l’université d’Accra au Ghana après la mobilisation du corps enseignant et des étudiants.

Celle-ci a été offerte par l’Inde en juin dernier ; mais la société civile s’est mobilisée en septembre pour son retrait, compte-tenu du caractère raciste de certains propos tenus par Gandhi à l’égard des Africains. Le Mahatma a vécu en Afrique du Sud entre 1893 et 1914. On retrouve dans ses écrits la citation suivante : « d’indigènes non civilisés » pour qualifier la population noire. Le projet de décoloniser  l’esprit de l’africain est en marche!

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La statue de Gandhi a été déplacée de l’université d’Accra au Ghana

Ce n’est pas la première fois que les Africains se mobilisent pour le retrait d’une statue de Gandhi. En 2003, les Sud-Africains se sont également opposés à la présence d’une statue de Gandhi à Johannesburg. En mars 2015, c’est une statue de Cecil Rhodes dans l’université du Cap qui a suscité la colère des étudiants. C’est un personnage très controversé dans le pays, à cause du rôle qu’il a joué dans la colonisation de l’Afrique du Sud et dans la partie australe de l’Afrique.

Décoloniser l'Afrique
Une statue de Cecil Rhodes dans l’université du Cap qui a suscité la colère des étudiants.

En juillet, André Blaise Essema un jeune camerounais a été condamné à six mois de prison et à une amende 3000€ pour avoir décapité et déboulonné la statue du général Leclerc de Hauteclocque (un militaire français) située à Douala. Il a également procédé au retrait d’une cinquantaine de plaques signalétiques portant des noms français.

si la méthode est condamnable, le projet de décoloniser les représentations dans les espaces publics est en marche. Les références africaines seraient les bienvenus dans tous les états africains.

 

Mais ces manifestations d’indignation face aux symboles de la colonisation ou de l’assujettissement restent très rares sur le continent africain. Aujourd’hui, l’Afrique continue de rendre hommage à presque tous ces oppresseurs sans qu’un véritable travail de réflexion ait été mis en place depuis les indépendances. Les pays francophones, comme c’est de notoriété publique n’ont pas encore coupé le cordon avec leur ancienne puissance coloniale.

Se décoloniser semble est slogan lointain mais jusque là pas transformé en acte concret. C’est donc tout naturellement dans ces pays, que l’on retrouve les plus importants signes de sympathie et de commémoration envers les colons.

Prenons l’exemple du Sénégal, la liste des rues rendant hommage à des colons français est restée quasi intacte depuis l’indépendance du pays. La ville de Dakar, la capitale est parsemée d’avenue en l’honneur des anciens présidents français comme l’avenue Georges Pompidou ou l’avenue du Général de Gaulle. Des rues au nom de personnalités françaises comme la rue Fleurus ou encore la rue Jules Ferry. La Côte d’Ivoire n’est pas en reste, avec une avenue nommée Houdaille, rendant hommage à Charles François Maurice Houdaille, un militaire français ; ou bien encore, l’avenue Crosson Duplessis en l’honneur de l’explorateur français Robert Wallace Crosson-Duplessis.

 

Le Congo Brazzaville, quant à lui, va encore plus loin avec son nom informel « Congo Brazzaville ». Brazzaville est le nom de sa capitale en l’honneur de l’explorateur français Pierre Savorgnon de Brazza. De plus, il semblerait que ces marques d’affections et d’honneur n’étaient pas suffisantes. En 2006, en commémoration des 100 ans de Pierre de Brazza, un mausolée fut érigé à Brazzaville en présence du président Sassou Nguésso et d’autres hommes politiques. Également, un lycée s’est vu attribué son nom, passant de lycée de la Libération à lycée Savorgnan de Brazza.

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La statue de Pierre Savorgnon de Brazza à Brazaville

Le Congo, semble attacher une grande importance aux anciens administrateurs français. Un autre lycée a vu son nom changer : le lycée Karl Marx est devenu lycée Augagneur, en l’honneur de Jean-Victor Augagneur, ancien gouverneur d’Afrique équatoriale.

En 2013, c’est le Mali qui s’est distingué. Au lieu de se décoloniser, le Mali semble d’avantage vouloir se recoloniser. Le maire de la ville de Konna décida de nommer une rue « Damien Boiteux », en hommage à un soldat français mort après une bataille contre les djihadistes. Depuis, de nombreux enfants nés dans la commune ont été également prénommé ainsi.

Beaucoup de tirailleurs sont morts pour la France au cours des deux guerres mondiales, mais aucun maire français n’a pris l’initiative d’attribuer le nom d’un tirailleur à une rue de sa ville. Et aucun français n’a prénommé son enfant « Mamadou Diallo » par exemple. Les héros africains ne sont pas honorés au point qu’ils aient leurs noms de rue.

 

La panoplie de la parfaite colonie ne s’arrête pas aux noms de rues ou aux statues. Elle va bien au-delà. Aujourd’hui encore, l’ancienne puissance coloniale, la France, a encore droit à tous les honneurs lorsqu’un de ses représentants se rend dans les anciennes colonies. On se souvient de la tournée africaine de François Hollande, en juin 2015 au Bénin, au Cameroun et en Angola. Les populations ont été mobilisées pour l’accueillir à sa descente d’avion, le tout accompagné des démonstrations folkloriques et des personnes scandant son nom. Et pourtant lorsqu’un président africain se rend en France, personne n’est là pour l’accueillir et c’est à peine si l’information est diffusée dans la presse nationale. Des pratiques dont certains présidents africains ne se privent pas de mettre en application à l’égard de leur propre peuple; présence de certains membres du corps diplomatique et d’un cortège lors de leur départ et arrivée.

Ce n’est pourtant pas les héros qui manquent sur le continent. Des noms de rues, d’école aux héros nationaux et continentaux deviennent aujourd’hui indispensables. Les personnages du passé sont celles auxquelles les nouvelles générations vont se référer. Difficile donc pour un jeune africain de se référer à une personne qui a lutté et contribué à la colonisation de son pays. A travers les références historiques, on glorifie ce qu’on est. On permet ainsi aux jeunes générations d’être fières de leurs héritages. Un peuple qui se projette à travers des références extérieures ne peut se construire.

 

Sisi Adouni

 

 

 

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