Critique littéraire: Amadou Hampâté Bâ« Amkoullel, l’enfant Peul »

Critique littéraire :Amadou Hampâté Bâ

Amadou Hampâté Bâ

Amadou Hampâté Bâ « Amkoullel, l’enfant Peul »

[box] Hamadou Hampâté Bâ est l’auteur africain le plus souvent cité pour sa phrase : “En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”.[/box]

« Amkoullel, l’enfant Peul » est l’un des ouvrages les plus importants d’Amadou Hampâté Bâ. C’est aussi son dernier livre. Il fut publié en 1991, l’année de sa mort.Dans ce livre, A.Hampâté Bâ nous parle de son enfance du début du XXe siècle passée dans différentes villes du sud du Mali. Il nous raconte l’histoire de sa famille, la vie pendant la colonisation française. Mais il nous propose surtout une véritable découverte de son peuple, les Peuls et de leur culture. Les Peuls sont un peuple nomade que l’on retrouve dans presque chaque pays d’Afrique de l’ouest. Il ne s’agit donc pas uniquement de la culture Peule mais aussi une partie de la culture de toute une région de l’Afrique. Le livre est une ode à la beauté des Peuls, en particulier celle de leurs femmes qui sont d’une grande beauté. Les peuls sont reconnaissables à leur physique.


Amadou Hampâté Bâ : Amkoullel, l'enfant Peul
Amkoullel, l’enfant Peul: Une femme Peule

Ils ont un teint souvent clair et un nez alcalin. Pendant leur jeunesse, ces membres arborent une certaine maigreur qui laisse souvent à penser qu’ils sont malades ; p391 : « Les Bambaras, qui nous appellent « Peuls maigrelets », on coutume de dire : « Quand tu vois un Peul, tu crois il est malade, mais ne t’y fie pas ; ce n’est que son état habituel. »

De nombreux aspects de la culture Peule et africaine en générale sont évoqués tout au long du livre. Comme la pratique de la « parenté à plaisanterie » très importante au sein des cultures sahéliennes, mais quasi inexistante chez les peuples situés dans le golfe de Guinée ; p316 : « Elle permet de plaisanter et de se mettre en boîte, voire de s’injurier, sans que cela puisse jamais tirer à conséquence ». Il nous explique l’importance et le rôle du repas partagé dans le même plat. Ces repas transmettent un certain nombre de valeurs ; p209 : « Manger devant soi, c’était se contenter de ce que l’on avait. Ne pas parler, c’était maîtriser sa langue et s’exercer au silence : il faut savoir où et quand parler. Ne pas prendre une nouvelle poignée de nourriture avant d’avoir terminé la précédente, c’était faire preuve de modération ».Il nous rappelle et à juste titre, l’importance et la valeur de la connaissance africaine, malgré les tentatives incessantes des occidentaux de réduire cela à néant en raison d’un manque de preuve palpable (au sens occidental du terme) de l’héritage par voie orale ; p213 : « Le fait de n’avoir pas eu d’écriture n’a donc jamais privé l’Afrique d’avoir un passé, une histoire et une culture ». Ce passage est crucial. C’est un message fort qu’envoie ainsi A. Hampâté Bâ aux nouvelles générations d’africains et il est on ne peut plus clair. L’homme noir n’a en aucun cas à rougir de l’oralité et de l’absence de l’écriture. C’est sa particularité, et cela n’a à aucun moment empêché la transmission de son histoire, de son savoir et de sa culture.
Malheureusement, la colonisation a joué un grand rôle négatif dans la préservation de ce savoir par voie orale ; p391 : « L‘un des effets majeurs, quoique peu connu de la guerre de 1914 a été de provoquer la première grande rupture dans la transmission orale des connaissances traditionnelles ».

Le système de caste qui façonne les sociétés des peuples vivant autour du Sahel, y est d’ailleurs très bien expliqué. L’auteur nous rappelle la différence entre ce système de caste et celui pratiqué en Inde. Les castes au sein de ces sociétés n’impliquent pas une hiérarchisation mais une complémentarité essentielle, non seulement dans la vie quotidienne mais également dans la vie spirituelle ; p439 « Les membres des castes (le mot « caste » est inapproprié en raison du sens qu’on lui donne en Occident) s’appellent nyamakala en bambara, c’est-à-dire ‘ antidote du nyama’, force occulte incluse en toute chose. Considérés comme détenteurs de pouvoirs occultes ».

Ce livre, nous rappelle la solidarité et le respect que les Africains avaient les uns envers les autres malgré leurs différences religieuses. C’est un aspect essentiel de nos cultures que nous devons nous souvenir et restaurer. Les évènements qui se déroulent au Nigéria, au Cameroun ou au Mali, nous rappellent les effets néfastes des nouveaux comportements que nous avons adoptés.

Le livre est aussi un voyage à l’époque coloniale, où l’on découvre les différentes méthodes utilisées par les colons et les impactes dramatiques qu’elles ont eu sur les populations africaines. La scolarisation en est un parfait exemple, elle a fortement contribué à la diffusion des idées impérialistes des colons auprès des populations africaines ; p414 « Il faut d’abord arracher des esprits, comme de mauvaises herbes, les valeurs, coutumes et cultures locales pour pouvoir y semer à leur place les valeurs, les coutumes et la culture du colonisateur, considérées comme supérieures et seules valables. Et quel autre moyen d’y parvenir que l’école ? ». l y est également évoqué le concept de l’épouse coloniale. Il s’agit de ces femmes africaines qui étaient réquisitionnées pour être les compagnes des colons pendant leurs séjours dans les colonies.


 Amadou Hampâté Bâ : Amkoullel, l'ennfant peul
Tirailleurs sénégalais, ayant combattus pour la France

A.Hampâté Bâ a vécu les deux guerres mondiales, de nombreux passages du livre font alors référence à la première guerre. Les Africains ont massivement participé à l’effort de guerre, beaucoup ont été mobilisés sur le front et ont y ont laissé leur vie. Cette cohabitation avec les Français de métropole a permis de casser le « mythe de l’homme blanc », les Africains se sont rendus compte que les hommes blancs n’étaient que de simples êtres humains comme eux. Ils ont aussi dû affronter la triste réalité du racisme des Français, lorsqu’ils ont découvert que leur pension de guerre ne valait que la moitié de celles perçues par les combattants de la métropole. C’est à ce moment qu’un sentiment d’égalité et de révolte commença à se manifester chez les populations africaines.
Ce livre est un repère pour toutes personnes voulant comprendre le quasi testament de Hamadou Hampaté Ba offert gracieusement à l’humanité.


Sisi Adouni

Souscrire à notre lettre d'information