Mali : Les rapports du Bureau du Vérificateur général ou les rapports de la honte

Bureau du vérificateur général

Les rapports du Bureau du Vérificateur général ou les rapports de la honte

D’abord, les rapports ne montrent qu’une infime partie visible et dicible de l’affaire, le fond trouble reste encore insondé. Les rapports de la honte pour au moins deux raisons. Ils confirment qu’une petite minorité se réserve des accès illimités aux ressources publiques pour leurs besoins purement égoïstes, contribuant ce faisant au sous-développement du pays car privant une grande majorité de jouir de leur droit au bien-être. D’autre part, l’enlisement dans la dilapidation de l’argent public révèle un échec politique dans la lutte contre la corruption qui, cependant, devrait entraîner une mobilisation citoyenne.

Lutte-t-on vraiment contre la corruption ? À quoi servent les rapports du Bureau du Vérificateur général (BVG)?

Le traitement politique du rapport du Vérificateur général

Lors de la présentation annuelle du rapport du bureau du vérificateur général , l’on ne peut qu’être saisi par le contraste entre le décor politique de l’événement et la gravité du contenu du rapport. Qu’une conférence de presse se tienne en français pour qu’une certaine opinion publique, au-delà des autorités politiques, se fasse une idée, comme le souligne le Vérificateur général M. Amadou Ousmane Touré, « du professionnalisme et de la qualité des travaux exécutés » par son bureau est dans l’ordre du formel en ce qu’il permet au citoyen de savoir ce qu’on fait de son argent. Par contre, le seul fait d’entendre, année après année, les mêmes menaces proférées par un président après l’autre, et qui, au regard des faits, n’ont aucun impact sur le phénomène de corruption, n’a aucun intérêt sinon de  démontrer un aveu d’échec du président.

Le bureau du vérificateur général est un projet politique initié par l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT), « En 2002, les autorités maliennes ont initié un projet de loi visant à créer une nouvelle autorité indépendante pouvant servir d’outils efficace de lutte contre la corruption, la mauvaise gestion et la délinquance économique et financière.

L’objectif visé est de renforcer la confiance entre l’Administration et le citoyen…[1]» Seulement, ATT voulait-il réellement lutter contre la corruption quand la même personne disait dans l’émission Baroni sur la chaîne publique ORTM que, «  Je n’humilierai aucun chef de famille en le mettant en prison. Celui qui détourne le denier public reste à son poste et travaille pour le rembourser. » ATT, en tenant de tels propos, fut taxé de laxiste mais la base de sa politique de consensus consistait à gérer certains types de conflits et de délits de manière non institutionnelle. De même, le procureur du pôle économique pense également que « l’emprisonnement systématique » n’arrêtera pas la corruption. Si la prison n’est pas la solution, il est aisé de voir que la gestion consensuelle basée sur la reconnaissance du tort et l’engagement de le réparer n’est pas non plus une panacée, à défaut de paraître comme une incitation à la corruption.

Le ton a changé avec l’arrivée au pouvoir de Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Et les citoyens attendaient le même changement dans les faits. L’année 2014 fut décrétée « année de lutte contre la corruption. »

Devant les Maliens, IBK s’engagea que « Nul ne s’enrichira plus illégalement et impunément sous notre mandat, Inch’Allah. » Soulignons de passage, comme le veut Amadou H. Bâ, que « la parole engage l’homme. La parole EST l’homme. » Pourtant, au-delà du côté symbolique, la corruption prend de l’ampleur. Dans son rapport de 2012, les irrégularités étaient estimées à 50 milliards, trois ans après, dans le dernier rapport portant sur l’année 2015, elles s’élèvent à 70,13 milliards de Francs CFA.

La dimension politicienne est également l’instrumentalisation faite par les autorités de ces rapports. Lors des meetings, IBK n’hésite pas à les brandir tel un instrument d’intimidation politique à l’endroit des acteurs politiques et des citoyens qui accusent le même pouvoir de ne pas lutter efficacement contre la corruption. Pourquoi les citoyens ont l’impression que les gouvernants, tous corrompus à tort ou à raison, trouvent leurs intérêts dans la mauvaise gouvernance ?

Un rapport, un constat… et après ?

Comme le rappelle Adame Ba Konaré, « Maints programmes de lutte contre la corruption ont été menés par les pouvoirs qui se sont succédé au Mali depuis l’indépendance, sans grand résultat [2]. »

Et si le bureau du vérificateur général n’existait que pour donner une image de « bonne gouvernance » mais de façade au Mali ?

Le souci de la façade quand le fond s’écroule. Dans les rapports, on peut lire que « ces fraudes donnent parfois lieu à des remboursements. » Cependant, comme les institutions financières (FMI et Banque mondiale -BM-) l’ont souligné, les montants recouvrés sont insignifiants.

Dans les affaires concernant l’achat de l’avion présidentiel et l’acquisition d’équipements militaires, il a fallu l’intervention -sinon l’ingérence du FMI et de la BM pour procéder à des audits de comptes publics afin de mesurer l’ampleur de ce qu’on pourra qualifier de « vol organisé » quand le Mali vivait l’un des moments les plus douloureux de son histoire. Toutefois, avec l’implication de ces deux institutions dans un Mali à la souveraineté bafouée, les sanctions ont été vite prises et exécutées avec le départ de certains ministres, vite recasés ailleurs.

Aussi, le FMI et la BM, constatant le laxisme et le laisser-aller politique dans la mauvaise gouvernance, dictaient aux autorités maliennes d’exécuter judiciairement les rapports du BVG.

Mais tout le mérite ne revient pas à ces deux institutions qui ont été légitimées dans ce processus par les mobilisations des citoyens qui exigeaient des sanctions contre les ministres coupables de « délinquance économique et financière. » Et si la solution venait des citoyens ?

 

Vers un traitement citoyen du rapport du BVG

 

Que c’est frustrant de savoir que ces milliards détournés peuvent garantir et considérablement améliorer l’accès des Maliens aux services sociaux de base. Tout aussi frustrant de savoir que « la délinquance en col blanc » ou la délinquance au grand boubou bénéficie d’un traitement de faveur politique quand l’article « 320 », symbole de la justice populaire aveugle, devient le sort d’une autre classe de voleurs.

Le mouvement « ça suffit on ne croisera plus les bras » avait lancé un appel afin d’organiser « un sit-in devant la cour d’appel pour demander au procureur de la République d’ouvrir des informations judiciaires dans les dossiers transmis par le vérificateur général » avec comme slogan « la corruption ça suffit !!! ». Loin d’être une anecdote, cette initiative pourrait être le début d’un mode d’action citoyenne de lutte contre la corruption. Il ne s’agirait plus de constater la corruption mais de la traiter de façon citoyenne pour que le manque de courage politique se transforme en véritable action politique d’éradication du fléau.

Étant celui qui vit les désastres de la mauvaise gouvernance dans son quotidien ; lui qui ne mange pas à sa faim, qui ne peut ni étudier ni se soigner dans un autre pays que le Mali, le citoyen a décidé d’agir sur ce mal qui compromet toute sa vie. Mais cette lutte interpelle cet autre citoyen qui a les moyens de se procurer tous ces services en dehors du Mali dans la mesure où le degré de corruption atteint, menace le pays même dans ses fondements. Et se contenter des rapports, au regard des faits de 2002 à 2017, est juste nous mettre devant une honte nationale qui devrait indigner pour ensuite provoquer une action collective citoyenne.

 

Au classement 2016 de Transparency International, le Mali était le 116e pays sur 176. Le rang d’un pays où le taux de perception de la corruption est très élevé. Les inégalités sociales se creusent dans une distribution inégale de la justice.

Jusqu’ici, les instruments de lutte contre la corruption se sont révélés inefficaces, l’éthique citoyenne est interpellée devant l’irresponsabilité politique. Pour paraphraser Adam Ba Konaré, la corruption « se modifie en fonction des évolutions, des préoccupations de chaque génération », les rapports nous mettent devant notre honte collective mais ne suffisent pas pour laver l’affront.

Mahamadou Cissé

[1]Voir <<http://www.bvg-mali.org/site/page/view/appercu_bvg.html>>

[2]Voir Adame Ba Konaré, Petit précis de relise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008, 2009.

Souscrire à notre lettre d'information