Communauté libanaise : les étrangers riches en Afrique

Ces étrangers qui deviennent riches en Afrique : la communauté libanaise

 Communauté libanaise.


L’Afrique est une terre d’accueil aussi  étonnant que cela puisse être compte-tenu de ce que l’actualité nous montre mais c’est pourtant vrai. L’Afrique a toujours été une terre d’immigration où des populations pauvres sont venues s’installer. Que ce soit les familles européennes présentes depuis de nombreuses générations, la communauté indo-pakistanaise ou encore libanaise l’Afrique accueille du monde venu d’ailleurs.

Une série d’articles sera consacrée à ces immigrés en terre africaine, le second volet est consacré à la communauté libanaise. Elle est arrivée en Afrique au début des années 40 et a su parfaitement prospérer. Ils sont aujourd’hui une population d’environ 300 000 personnes majoritairement en Côte d’Ivoire avec 60 000 personnes, les Sénégalais Libanais sont eux 25 000.

Ibrahim El Ali est issue de la 2nd génération de Sénégalais Libanais, membre très actif au sein de la communauté sénégalaise et malienne en France. Il a partagé avec nous l’histoire de la communauté libanaise au Sénégal mais aussi leurs rapports avec les Africains. Nous l’avons rencontré à Paris en ce mois de Juillet 2016.

Ibrahim El Ali, malien d'origine libanaise né au sénégal
Ibrahim El Ali, malien d’origine libanaise né au sénégal, membre de la communauté libanaise
 Pouvez-vous nous raconter comment votre famille a immigrée au Sénégal et pourquoi ?

Ma famille n’a pas immigrée au Sénégal, elle a immigrée avant tout.  Mes parents ont quitté le Liban en 1946 lorsque le pays traversait une période de grande pauvreté. Le pays était sous domination française et la France avait besoin d’une communauté de commerçants qui allait jouer le rôle d’intermédiaire dans le commerce des matières premières à travers le monde. Mes parents pensaient qu’ils se rendaient aux Etats Unis.

lorsqu’ils sont arrivés au Sénégal ma mère a dit à mon père « mais tous les Américains sont noirs ».

Dans quelles conditions la communauté libanaise arrive généralement au Sénégal ?

L’immigration libanaise est multiple, certaines sont très anciennes. La première génération arrivée au Sénégal vivait dans les zones reculées car elle servait d’intermédiaire aux Français dans le commerce d’arachide ou de coton (Kaolack, Joubeck, Fatick). Et d’autres servaient de grossistes et vivaient dans la capitale ou dans la région du plateau car il leur était interdit avant 1960 d’habiter en dehors du plateau afin de les protéger. Ce qui donne cette impression que tout leur appartient alors qu’ils ne sont actifs que dans des secteurs spécifiques.

En 1975 une autre vague d’immigration est arrivée. Prenons l’exemple de mon village, une partie a été envoyée au Sénégal et une autre en RDC. Le processus faisait que l’arrivée d’une première famille qui après avoir prospérée aidait les autres à venir et développait leurs activités ensemble. C’est ainsi que nous avons pu nous enrichir.

Comment c’est passée l’intégration des libanais au Sénégal ?

Je suis né au Sénégal mais j’ai la nationalité malienne, je suis très actif dans la politique et la diaspora malienne en France. Mon grand-frère a été ministre de l’écologie et de la protection de la nature au Sénégal. L’histoire de l’intégration libanaise, se présente sous deux formes; les Libanais de la « brousse » qui sont complètement intégrés et mariés avec des Sénégalaises et  les Libanais du « plateau(quartier le Plateau, centre ville de Dakar autrefois réservé aux français) », étaient dans un cercle très fermé donc peu de mixité.L’intégration est en fait totale car un Libanais du Sénégal ne se considère pas Libanais, il est comme un Peul qui se sent Peul et ensuite Sénégalais.

Le Libanais se sent Libanais du Sénégal. C’est comme si les Libanais était une nouvelle ethnie africaine. Mais cette intégration n’est pas perçue comme totale par les Sénégalais, car ils évaluent l’intégration à travers le nombre de mariage entre Sénégalais et Libanais. Mais nous observons ce problème également entre des ethnies Sénégalaises. Cela est donc lié à la zone géographique. Comme ils étaient très concentrés dans la zone du plateau et ne pouvaient vivre ailleurs, des liens forts se sont créés au sein même de la communauté libanaise. Selon mon analyse personnelle, 50% Dans la communauté libanaise, des Libanais nés au Sénégal n’ont jamais mis les pieds au Liban et s’il y’a un match de foot opposant le Liban au Sénégal ils supporteraient le Sénégal.

Quelles sont les rapports entre Sénégalais et Libanais (professionnels, amicales..) ?

Les rapports ont évolué au cours de l’histoire. A l’époque où les Sénégalais immigraient peu, l’immigration libanaise était minime et ils étaient concentrés dans la région du plateau. Leur réussite financière donnait l’impression qu’ils s’accaparaient les richesses du pays.  A juste titre on dit « Jetez un Libanais dans la mer et il en ressort avec un poisson dans la main », nous sommes des entrepreneurs et des travailleurs. En parallèle les Libanais dès les années 60 ont été des acteurs importants de l’économie. Ils ont beaucoup contribué à la formation des Sénégalais dans le domaine du commerce et petit à petit le Sénégalais a remplacé le Libanais dans le commerce de détail. Les Libanais se sont ensuite tournés vers l’industrialisation et le commerce de gros. Lorsque les Sénégalais ont commencé à voyager et faire du commerce à l’étranger, ils ont commencé à respecter les Libanais. Leur absence dans la politique les a aussi desservis mais aujourd’hui certains y sont présents comme mon frère Haïdar El Ali ou d’autres et à partir de ce moment ils ont été considérés comme des Sénégalais à part entière. La couleur de peau nous rend également plus visible. Mon grand-frère est marié avec une casamançaise, les mariages inter raciales commencent à se diffuser. Il est vrai que dans le passé il y’a eu un racisme « social », les gens issue de la bourgeoisie libanaise et sénégalaise se mélangeaient. Il ne s’agissait pas d’un racisme blanc-noir.

Haïdar El Ali, ministre de l’écologie et de la protection de la nature au Sénégal
Haïdar El Ali, ministre de l’écologie et de la protection de la nature au Sénégal, membre de la communauté libanaise

concernant la communauté libanaise, on n’est pas étranger, nous sommes de nationalité sénégalaise ou autre, il y’a juste une différence de peau.

 Vous sentez-vous Sénégalais ? Libanais ?

Mon histoire est atypique, je me sens Sénégalais, Malien, Libanais et aussi Français.

Vous sentez-vous proche des Sénégalais (culturellement, linguistiquement…)

Je parle couramment le Wolof. Lorsque je rencontre de jeune sénégalais qui ne parle pas leur langue maternelle cela me renvoi à ma propre histoire car moi-même je ne parle pas l’Arabe du Liban. Aujourd’hui je me sens plus ouest africain que Sénégalais. La richesse de la culture Malienne ou bien de la Casamance m’a fait prendre conscience de la beauté de ces différentes cultures. Je me sens porté par la culture africaine du Nil jusqu’à la pointe de Saint Gomar.

Que pensez-vous du racisme des Libanais en Afrique ?

L’immigration Libanaise est multiple, les premiers migrants sont parfaitement intégrés. Mais il est vrai que la vague plus récente de Libanais appelée en Wolof les « waytcha bou bes » (ils viennent d’arriver) venue dans les années 80 lorsque le Liban était en guerre, ceux-ci ont gardé des comportements racistes. Mais un travailleur Sénégalais peut travailler dans des conditions encore plus dures chez un Sénégalais. C’est un ressenti, la communauté libanaise doit effectivement s’impliquer d’avantage dans les questions de mode, de cinéma, de musique, de sport car le Libanais s’implique uniquement dans les domaines porteurs. Et ils y sont déjà comme le créateur Réda Fawas ou Elie Kwame. Cela donnera une meilleure visibilité à leur intégration. Lorsque ces domaines auront atteints une certaine maturité économique ils vont s’y investir. D’ailleurs lorsqu’un joueur Sénégalais d’origine Libanaise membre de l’équipe nationale de foot du Sénégal a marqué un but les gens se sont plaints de la présence d’un blanc dans l’équipe.

Elie Kwame, designer Libano ivoirien-malien
Elie Kwame, designer Libano ivoirien-malien, membre de la communauté libanaise

Etes-vous au courant du traitement réservé  aux travailleurs africains (surtout femmes) au Liban ? Qu’en pensez-vous ?

Oui et j’ai même milité. Ce racisme contre les travailleurs est indiscutable mais les subsahariens sont très peu présents. Il s’agit surtout de Sri Lankais, Pakistanais ou Philippins. Mais vous ne le verrez jamais chez un Libanais du Sénégal se rendant au Liban avec son personnel ramené du Sénégal.

Manifestantes africains lors d'une marche contre les abus sur les travailleurs africaines au Liban
Manifestantes africaines lors d’une marche contre les abus sur les travailleurs africaines au Liban

Y’a-t-il des initiatives prises par les Libanais vivant en Afrique pour lutter contre cette situation ?

L’association (Association Sri-lankaise d’Assistance Sociale,  La Sœur Amélia avec les Filles de la Charité, les associations religieuses & personnelles) dont beaucoup d’Africains d’origine libanaise sont membres œuvre pour améliorer les conditions de vie de ces travailleurs. On se sent totalement concerné, nous sommes conscients que cela peu nous affecter de retour au pays. Il faut rappeler que le Liban est un pays désorganisé (absence de président depuis 2 ans), une présence importante de réfugiés (2 millions de Syriens et de Palestiniens). Par ailleurs la législation doit changer car aujourd’hui elle est trop contraignante pour l’employeur et est aussi la cause de certaines dérives.

Si les Africains traitaient les Libanais ainsi serez-vous restés au Sénégal/Afrique ?

Non je ne resterai pas. Mais nous serons toujours attachés au Sénégal, à sa langue, sa culture et sa cuisine.


Sisi Adouni,
stagiaire

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