Société: L’abandon de l’enseignement des langues africaines limite l’homme africain dans la comprehension du monde qui l’entoure

L’Afrique est un continent de contraste et de nuance, il est parfois désolant de voir certaines analyses intellectuelles à son sujet dans une posture de court-circuitage volontaire de son histoire et de celle de ses grands hommes. L’africain n’est toujours pas conscient qu’il ne doit rien attendre des autres pour faire son histoire, pour délimiter sa structure sociale. La logique de ce monde est depuis une période inconnue, définie par les systèmes de domination par lesquels chaque peuple doit s’imposer, doit valoriser sa vision du monde et notre monde n’est explicable que par les éléments langagiers : les signes, la langue, les symboles etc. Pourquoi n’utilisons-nous pas nos langues comme une force intrinsèque pour bâtir des écoles de pensées faites par nous et faites pour nous ? Ces écoles seraient d’une efficacité pour mettre en avant notre philosophie de la cosmogonie étant un pilier incontournable pour expliquer les phénomènes qui nous entourent. L’adaptation à nos valeurs, leur structure sociolinguistique et la pratique des langues compréhensibles par tous peut nous aider à élaborer une telle intelligence collective, d’établir une synergie entre ce que nous sommes et nos systèmes de pensée.

Nous pourrions nous organiser en être politique à partir du moment où nous parviendrons à valoriser nos codes culturels pour être en parfaite harmonie avec nos systèmes sociaux. Malheureusement l’africain est la victime de la guerre des civilisations ayant réussi à bander ses yeux pour l’empêcher de voir les réalités de son monde. Un continent multiculturel qui s’est laissé faire sous l’influence d’une minorité culturelle, un continent qui ne cesse de s’éteindre à chaque seconde qui passe. L’un des plus profonds et les plus représentatifs des proverbes africains dit ceci : « Un vieillard qui meurt en Afrique, c’est une bibliothèque qui brûle » Ahmadou Hampaté Bâ (Conférence générale de l’UNESCO à Paris 1960).  Le vieillard étant une bibliothèque, l’Afrique serait une ressource qui regorge des valeurs humaines régies par un désir de compréhension de la science et de la culture. Que devient alors une société dont les langues sont en passe d’extinction ? L’école des colonies tue les vieillards et ils partent avec les profondeurs de la vie du continent, c’est quand même dommage !

Triste réalité, notre continent est devenu un espace d’expérimentation et de transmission des autres en n’ayant rien à donner en retour. Plus nous recevons, plus nous sélectionnons et plus nous écartons obligatoirement certains éléments. Le choix de la plupart des pays africains est tombé sur la mise à mort des langues véhiculaires.  L’abandon des langues africaines est l’un des éléments qui se situent dans ce processus d’élimination des valeurs de l’homme africain.

Un homme instruit en Afrique actuellement est celui qui a appris l’histoire de ses ancêtres au travers de la combinaison linguistique d’une autre culture, est celui qui est capable de réfléchir dans une expression étrangère. Certes, ce n’est pas une pratique néfaste pour sa formation instinctuelle, ce qui est plus intriguant dans cet état de fait est que ce même homme a toujours tendance à bannir sa propre langue ayant dans sa tête qu’elle ne lui permet plus d’accéder au monde des élus du nouvel ordre mondial. La langue est l’élément fondamental de la culture, un système de signaux par lequel l’individu s’identifie à son groupe d’appartenance. Elle structure même des limites territoriales, elle garantie le suivi des différentes civilisations de l’histoire. Alors, sa pratique doit être un enseignement permanent dans la vie de l’homme, raison pour laquelle les nations se sont dotées des instances d’enseignement dont les principes sont diffusés au travers d’une langue ou des langues. Dans ce contexte, l’école étant un espace privilégié de formation et de façonnement intellectuel, est aujourd’hui dans le cas du continent, un outil efficace pour l’homme africain permettant de s’effacer lui-même. Elle joue un rôle de voile masquant les valeurs intrinsèques du continent. Les écoles ont été construites pour l’Afrique, mais il n’existe pas des écoles africaines proprement dites, à ce niveau nous pouvons nous associer à l’historien Joseph Ki-Zerbo ayant dit dans le temps que l’éducation en Afrique, ce n’est pas encore l’école africaine. L’école est située en Afrique, mais elle ne conduit pas encore vraiment à l’Afrique. L’école dans le but de faire adapter les africains et non de s’adapter aux valeurs africaines serait un échec dans nos différents systèmes éducatifs. Joseph Ki-Zerbo en dit plus dans sa thèse selon laquelle l’école en Afrique participe au sous-développement de l’Afrique. La cause, selon lui, de ce paradoxe est la désintégration de son substrat culturel, de « l’acquis culturel africain », du « cordon ombilical » qui la relie à l’Afrique.

Le continent africain compte plus de 2000 langues parlées parmi les 6000 recensées soit plus d’un tiers des langues parlées du monde selon l’Ethnologue 16ème édition de 2009 du Summer Institute of Linguistics du Texas. Malgré que ces données sur les langues parlées sur notre planète relèvent de l’ordre des grandeurs et de l’inexactitude statistique, il est quand même  aberrant de constater qu’aucune de nos langues n’a ni de statut de « langue influente », ni de statut de « langue la plus parlée ». En suivant le concept du sous-développement selon l’historien Joseph Ki-Zerbo, notre continent est sous-développé dans sa culture en termes de formation intellectuelle dans les disciplines scientifiques propres à l’Afrique elle-même. Nous avons oublié l’apprentissage de nos langues permettant aux enfants de l’Afrique de formaliser et verbaliser leurs pensées, de s’intégrer au monde qui les entoure. La source de notre régression intellectuelle a fortement une corrélation avec l’usage des langues dominantes étrangères à l’école. Cette incohérence peut être facilement constatée au niveau des relations familiales de surcroit sociales, l’usage de ces langues étrangères est devenu problématique parce que les langues de nos intellos et langues parlées par la majorité de nos populations ne sont pas les mêmes donc la compréhension est difficile. On a une forme de rupture à deux niveaux, d’abord nous avons à faire à une recrudescence des communautés déconnectées de leur monde originel et une rupture symbolique entre les deux instances de socialisation c’est-à-dire l’école et la société.   En somme, l’abandon de nos langues nous a conduits à adopter la voie d’une rupture avec nos cultures, d’une incapacité à décoder nos valeurs linguistiques à nous faire des écoles de pensée qui pouvaient nous permettre de nous équiper de nos propres approches scientifiques.

 

Pour pouvoir consolider nos acquis intellectuels, nous devons rester fidèles à nos langues.

 

Maramory Niaré

 

 

 

 

 

 

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